Voilà un peu plus de quatre mois, l’armée américaine se retirait d’Afghanistan.
Un départ pour le moins chaotique dont les images ont choqué tous ceux qui avaient l’illusion que ce conflit vieux de 20 ans était enfin maîtrisé, permettant la stabilisation du pays.
Le départ occidental a, de plus, suscité de multiples inquiétudes, notamment sur le sort des femmes sous le régime taliban* et sur celui des Afghans qui travaillaient avec les autorités occidentales. Qu’en est-il maintenant? Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), fait un triste bilan de l’état de la population:
"La situation des femmes est peu enviable mais la situation globale des Afghans est de toute façon peu enviable. Les femmes et les enfants sont particulièrement victimes car ce sont les plus fragilisés. La situation est terrible à cause du froid, de la faim et de la catastrophe économique qui résulte de la prise de pouvoir des talibans*. 97% des Afghans vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté (1,70 euro par jour). On estime que 700.000 personnes ont quitté leur foyer depuis la conquête de Kaboul par les talibans* le 15 août dernier."
La situation est catastrophique, poursuit Emmanuel Dupuy, "près de 24 millions d’Afghans sont aujourd’hui en situation de ‘crise alimentaire aigue’, selon le terme consacré par l’ONU, et près de 9 millions sont en situation de famine". Et il est compliqué pour la communauté internationale d’aider le peuple afghan tout en évitant de financer leur gouvernement.
Pour le président de l’IPSE, la communauté internationale devrait passer par les ONG pour aider la population afghane, et pas par les autorités.
"La communauté internationale ne souhaite pas reconnaître le régime des talibans*. Elle ne veut pas non plus que l’aide humanitaire soit détournée par le gouvernement taliban*. Alors la situation est paradoxale. La communauté internationale a néanmoins accordé 280 millions de dollars pour essayer de juguler cette situation dramatique, mais il n’est pas question pour l’instant de rapatrier les 10 milliards de dollars que les talibans* estiment devoir leur être rétrocédés et qui sont les avoirs du précédent régime, détenus par la banque centrale américaine."
Lors du retrait militaire du pays, on a pu craindre une recrudescence d’attentats contre l’Occident provenant d’Afghanistan. Aujourd’hui, le pays est-il davantage une menace? Pour Emmanuel Dupuy, "personne n’a pu croire que le risque d’attentats contre l’Occident était une réalité. Par contre, le fait que les talibans* aient maintenu une logique guerrière –la preuve en est, la semaine dernière, ils ont créé une brigade de martyrs prônant les attentats suicides–, cela prouve bien qu’ils ont un agenda mais ce n’est pas un agenda occidental, c’est un agenda du voisinage".
"La menace n’est donc pas sur nous, elle est sur le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et évidemment l’Iran. Les talibans* sont les nouveaux proxys américains."
Alors, y a-t-il un pays qui tire les ficelles derrière les talibans*? Le président de l’IPSE confirme "ce que tout le monde sait", que les talibans* sont une création des services secrets pakistanais en 1994 pour affaiblir le pays.
"À cette époque, les talibans étaient un outil au service d’une profondeur stratégique pakistanaise. Ils ont aujourd’hui conquis le pouvoir mais ils ne peuvent pas gérer un pays. Ils ont été créés pour conquérir et rester puissamment armés avec une logique de conquête territoriale, spirituelle, et non pas dans un esprit de stabilisation. Donc la vraie question est: maintenant qu’ils dirigent (mal) l’Afghanistan, est-ce qu’ils exporteront leur djihad au-delà de leurs frontières? Je pense que la main qui les a nourris, le Pakistan, est en train de se rendre compte que les talibans* voudraient peut-être porter le fer au Pakistan, ce qui justifie qu’Islamabad soit nettement moins enclin à les soutenir qu’il y a quelques semaines."
*Organisation terroriste interdite en Russie.