Le Hezbollah est remonté et l’a fait savoir. Dans son allocution du 3 janvier, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du parti chiite libanais, s’en est pris de manière virulente à l’Arabie saoudite, son ennemi régional. "Le terroriste est celui qui prend en otage des centaines ou des dizaines de milliers de Libanais et menace l’État libanais de les expulser", a déclaré le leader du mouvement pro-iranien. "Votre Altesse le roi, le terroriste est celui qui a exporté l’idéologie du wahhabisme et de Daech* dans le monde, et c’est vous", a-t-il ajouté.
Une réponse du berger à la bergère, puisque ces déclarations interviennent quelques jours après les accusations du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz Al Saoud contre le parti chiite libanais. Lors de son discours annuel, il avait exhorté le 29 décembre les autorités libanaises à "mettre fin à l’hégémonie terroriste du Hezbollah". De surcroît, les autorités saoudiennes, en guerre contre les insurgés houthis depuis 2015, ont dénoncé l’aide logistique et militaire du mouvement pro-iranien aux rebelles yéménites. "Le Hezbollah forme les Houthis à piéger et utiliser des drones à l’aéroport", a déclaré le 26 décembre le général Turki al-Maliki, porte-parole de la coalition. Ce à quoi Hassan Nasrallah a répondu que "la guerre contre le Yémen est une guerre américaine menée par l’Arabie saoudite".
Joute verbale Hezbollah-Riyad
Ainsi les deux ennemis régionaux se rendent-ils coup pour coup. "Tout les oppose dans la sphère régionale", explique Alex Issa, chercheur en relations internationales et spécialiste du Liban: "Le Hezbollah est le représentant de l’Iran sur le sol libanais, alors que Téhéran est l’ennemi juré de Riyad malgré le début des pourparlers. L’Arabie saoudite se rapproche officieusement d’Israël, qui est l’ennemi juré du Hezbollah."
"Dans cette confrontation à distance, c’est le Liban lui-même qui en paie les conséquences", souligne-t-il au micro de Sputnik.
À peine quelques heures après le discours de Hassan Nasrallah, les dirigeants libanais ont tenu à rassurer Riyad. Le Président Michel Aoun, pourtant allié du Hezbollah, a quelque peu pris ses distances avec le parti chiite. "Veiller à ces relations doit se faire de façon réciproque, parce que cela est autant dans l’intérêt du Liban que des pays du Golfe", a-t-il réaffirmé lors d’un point presse le 4 janvier.
Un ton plus modéré que celui du Premier ministre Najib Mikati, qui s’est voulu frontal vis-à-vis du mouvement pro-iranien. Les propos de Hassan Nasrallah "ne représentent pas la position du gouvernement libanais", a-t-il sèchement fait savoir.
Les critiques du Hezbollah mettent Beyrouth en porte-à-faux. Le Liban tente en effet de renouer avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe depuis la démission de Georges Cordahi, ministre de l’Information, qui avait jugé "absurde" la guerre au Yémen. Des propos qui avaient provoqué l’ire des pétromonarchies. En conséquence, depuis le 14 octobre dernier, Riyad, suivi par ses alliés du Golfe, a coupé tous ses liens diplomatiques et économiques avec le Liban. Avec cette mesure de rétorsion, Beyrouth pourrait perdre environ 10% de ses exportations. Un manque à gagner qui atteindrait les 300 millions de dollars annuels. La plus grosse crainte demeurait toutefois l’arrêt de l’envoi de devises étrangères par la diaspora. Près de 550.000 Libanais vivent dans le Golfe, dont 350.000 en Arabie saoudite.
La vaine tentative française
Les efforts de la diplomatie libanaise ont été impulsées par une initiative française. Lors de son voyage à Djeddah, Emmanuel Macron a voulu ramener l’Arabie saoudite au chevet du pays du Cèdre. Le plan consistait en la création d’un "mécanisme de soutien humanitaire franco-saoudien" pour amorcer le rétablissement des liens entre le Liban et les pays du Golfe. Mais Paris et Riyad avaient toutefois conditionné ce réchauffement à "la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État", une allusion au Hezbollah qui est le seul parti à avoir gardé son arsenal militaire après la guerre civile libanaise en 1990. Autant dire que la démarche française tenait au mieux du vœu pieux.
Mais indépendamment de la bonne volonté française, les deux parties semblent irréconciliables.
"Pour les Saoudiens, les dirigeants libanais doivent s’aligner sur les exigences de Riyad, alors que le Hezbollah fait partie du gouvernement, il a des ministres, des députés. D’un côté comme de l’autre, il n’y a pas de pragmatisme, Riyad ne fera pas de concession et le Hezbollah non plus", craint Alex Issa.
Et c’est le moins que l’on puisse dire, tant les rancœurs sont profondes. L’Arabie saoudite a classé le Hezbollah dans la liste des organisations terroristes depuis 2016 et a dès lors commencé à délaisser le Liban. Les financements en provenance du Golfe se sont littéralement taris alors qu’entre 2003 et 2015, 76% des investissements directs étrangers au Liban provenaient des États du Golfe. Riyad a même pris ses distances avec ses anciens alliés libanais. En 2017, la monarchie saoudienne a séquestré Saad Hariri, l’obligeant à démissionner en raison de sa prétendue complaisance à l’égard du parti chiite libanais.
"L’Arabie saoudite utilise sans cesse le bâton avec le Liban", résume le chercheur. Pour s’attaquer au Hezbollah, Riyad n’hésite pas à sanctionner économiquement le Liban. Cela a notamment été le cas en avril dernier, lorsque les autorités saoudiennes ont interdit l’importation de produits agricoles libanais. L’annonce est intervenue après la découverte par les douanes saoudiennes d’une cargaison massive de Captagon, dissimulée dans des grenades (fruits) en provenance du Liban.
Mais comme si ce n’était pas assez, la résolution du contentieux libano-saoudien dépendrait surtout de l’extérieur.
"On ne peut malheureusement pas se projeter dans cette crise. Il faut prendre en compte le facteur iranien, israélien, les avancées des pourparlers sur le nucléaire", conclut-il.
Décidément, le Liban n’a pas son destin entre ses mains. Mais l’a-t-il déjà eu un jour?
*Organisation terroriste interdite en Russie