Urgences payantes, conséquence de "choix politiques dramatiques: fermer des activités, des lits"

Pour renflouer les caisses et désengorger les urgences, au 1er janvier, les patients non hospitalisés devront payer sur place la somme de 20 euros. Une décision scandaleuse, selon l’Association des médecins urgentistes de France.
Sputnik

"On va se retrouver avec une population toujours moins bien soignée parce que plus on consulte tard pour une pathologie, plus on risque d’avoir une aggravation."

Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), le docteur Emmanuelle Seris craint que le "forfait patient urgences" qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain n’"incite les gens à renoncer aux soins". En effet, à partir de cette date, les passages aux urgences non suivis d’hospitalisation seront soumis à un forfait plafonné de 19,61 euros, à payer sur place. Une somme minorée pour certaines catégories de patients, tels que les femmes enceintes de plus de cinq mois ou les patients atteints d’affection longue durée. Par ailleurs seront exonérés les enfants victimes de sévices, les victimes d’actes de terrorisme et aux situations relevant de l’urgence sanitaire, comme les malades du Covid-19.

Un scandale "dans le pays de la sécurité sociale"?

Ce ticket modérateur forfaitaire, prévu dans la loi de financement de la Sécurité sociale, vise notamment à équilibrer les comptes. Car actuellement, seuls 30% du reste à charge des passages aux urgences vont dans les caisses des hôpitaux. Une solution que dénonce la porte-parole de l’Amuf: "On va peut-être recevoir de la trésorerie, mais je ne pense pas que ce soit là-dessus où il faut faire des efforts".
Le Dr Seris estime qu’il faudrait plutôt s’attaquer à l’argent perdu "à cause des audits qui sont commandités, par exemple", ou encore éviter de dépenser de l’argent pour des "rapatriements sanitaires" durant la crise sanitaire. "Ils ont été faits à grands frais avec deux ou trois patients touchés par le Covid-19 qui étaient mis dans des avions et des hélicoptères, alors qu’il aurait simplement fallu envoyer du matériel" et ne pas "fermer de lits d’hôpitaux", considère la porte-parole de l’Amuf.

"Demander 20 euros aux patients, ce n’est pas une réponse satisfaisante dans le pays des droits de l’Homme, le pays de la sécurité sociale. En France, on a quand même fait un choix en faveur du service public."

Pourtant, les conséquences de cette mesure resteraient limitées, puisque dans 95% des cas, les Français disposent d’une complémentaire santé ou d’une aide équivalente.

Les plus fragiles laissés pour compte

Ils pourront donc faire valoir le tiers payant afin d’éviter de s’acquitter de la somme. Reste les 5% des gens qui n’entrent pas dans cette catégorie, à savoir les plus précaires financièrement.

"C’est vraiment désespérant de voir que l’on se retrouve avec une institutionnalisation de l’inégalité de l’accès au soin", fustige la porte-parole de l’AMUF.

Si le gouvernement a fait le choix de mettre en place ce "forfait patient urgences", c’est également pour tenter de réduire l’engorgement des urgences. Selon un rapport de la Cour des comptes, 3,6 millions de passages dans les services d’urgences en 2017 seraient "inutiles". Ainsi, la juridiction financière estimait que des demandes de soins non programmés, sans détresse vitale, "auraient pu être prises en charge par la médecine de ville".

"L’ensemble du système est à l’agonie"

Cette réforme de la tarification pourrait-elle réussir à limiter la saturation des urgences? Rien n’est moins sûr, à en croire le Dr Seris. "Il n’y a absolument pas une population qui abuse des urgences, mais qui ne sait plus comment accéder à des soins primaires", avance-t-elle.
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Et pour cause, année après année, les déserts médicaux s’étendent en France, notamment dans les campagnes.

"Actuellement, on est en carence d’accès en médecins généralistes partout sur le territoire, carence de médecins spécialistes. En conséquence, les gens vont là où ils peuvent aller. Des citoyens qui payent quand même des impôts pour avoir un service public se retrouvent complètement démunis", souligne notre interlocutrice.

Elle rappelle que ce qui "surcharge les hôpitaux, ce ne sont pas les gens qui vont aux urgences pour une consultation", mais le fait "de ne pas pouvoir hospitaliser les gens qui restent dans les couloirs, faute de lits".

"Les choix politiques qui ont été faits sont dramatiques. C’est-à-dire de fermer des activités, des lits, de tout regrouper dans les gros centres hospitaliers. Résultats des courses, l’ensemble du système est complètement à l’agonie aujourd’hui."

La porte-parole de l’AMUF s’inquiète donc de nouveaux dysfonctionnements. "Les services d’urgence ne sont pas adaptés à l’encaissement de paiements: il faut des lecteurs de carte vitale, de la monnaie, des lecteurs de carte bleue…", explique d’ailleurs un connaisseur de ces problématiques au HuffPost.
Aurélien Sourdille, de la Fédération hospitalière de France, confirmait, toujours au HuffPost, que la nuit par exemple, "il n’y a pas toujours de secrétaires médicaux. Il y a des infirmiers et des aides-soignants, qui sont avant tout là pour les soins, et dont ce n’est pas la mission première de passer une carte bleue".

"On connaît déjà tout le cumul de tâches dans tous les hôpitaux publics. On n’a pas de visibilité sur les modalités d’application à ce jour, mais on voit déjà que cela va être une surcharge de travail", prévient le Dr Seris.

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