Transition en Guinée: l’argument de la réconciliation nationale pour faire attendre la CEDEAO

Une transition à durée indéterminée pour l’instant. C’est à cela que renvoient les éléments contenus dans la feuille de route du Premier ministre guinéen Mohamed Béavogui. Des dispositions qui snobent les exigences de la CEDEAO en s’appuyant sur un argument incompressible: la réconciliation nationale.
Sputnik
La publication de la feuille de route du Premier ministre de transition de Guinée sonne-t-elle le lancement de vraies hostilités entre la junte militaro-civile au pouvoir depuis le 5 septembre 2021 et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)? On peut le craindre. Le 25 décembre 2021, Mohamed Béavogui a en effet transmis au lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya, chef de l’État, les étapes clefs d’une transition politique à durée non déterminée. Les cinq axes de cette feuille de route sont: la rectification institutionnelle, le cadre macro-économique et financier, le cadre légal et la gouvernance, l’action sociale, l’emploi et l’employabilité, les infrastructures et l’assainissement, indique le communiqué de la cellule de communication du gouvernement. Pas une ligne sur l’organisation d’élections générales censées rétablir l’ordre constitutionnel encore moins sur un calendrier électoral, deux exigences des chefs d’État de la CEDEAO.
"Le Président de la transition a approuvé cette feuille de route et réitéré sa confiance au Premier ministre et à son gouvernement", précise ledit communiqué.
Le 12 décembre, les chefs d’État de l’organisation ouest-africaine réunis à Abuja, la capitale du Nigeria, ont réitéré leur souhait que la Guinée revienne à l’ordre constitutionnel dans un délai de six mois. Cela ne semble pas en prendre le chemin.
"L’annonce de la feuille de route du Premier ministre de transition était très attendue de longue date par les Guinéens eux-mêmes et par la communauté internationale depuis le coup d’État du 5 septembre dernier. Mais cette feuille de route ne règle rien. Outre les cinq axes qui ont été mis en avant, il manque l’essentiel, c’est-à-dire un chronogramme en vue des prochaines élections dont il fallait définir le cadre. Ce qui n’a pas été fait", souligne Emmanuel Dupuy, président du think tank Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), interrogé par Sputnik.
Dans les options affichées par les autorités guinéennes, il reviendra au Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif appelé à faire office d’Assemblée nationale, de fixer souverainement la durée de la transition. Le Président Doumbouya s’y est déjà engagé auprès de ses pairs de la CEDEAO. Mais, pour Emmanuel Dupuy, l’absence prolongée de chronogramme est peut-être révélatrice de certains calculs.
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"Le Président Mamadi Doumbouya sait pertinemment que la communauté internationale s’intéresse moins à la Guinée qu’au Mali et que la CEDEAO se montre très insistante sur le respect du calendrier électoral qui, du reste, ne sera pas respecté au Mali à l’aune des élections présumées de février 2022. La Guinée s’est engouffrée, pour en profiter, dans cette zone grise qui fait braquer davantage les yeux sur les militaires de Bamako."

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La rédaction d’une nouvelle constitution est attendue, de même que la mise en place d’une commission électorale indépendante crédible qui ne sera pas aussi contestée que sa devancière accusée d’avoir été totalement soumise à l’ancien Président Alpha Condé. La junte de Conakry peut voir venir les événements sans trop de crainte.
"Cela est d’autant plus vrai que la prochaine présidence de l’Union africaine, qui sera assurée par le Sénégal, donnera sans doute une nouvelle marge de manœuvre à la Guinée au nom de la proximité géographique entre les deux pays. À cet égard, le Président Macky Sall a très souvent préféré un rôle de médiateur et de réconciliateur dans les crises africaines", explique le président de l’IPSE.
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Dans la crise malienne, le Président Macky Sall a marqué son opposition à des sanctions économiques et commerciales contre ce très proche voisin dont une grande partie des approvisionnements proviennent du port de Dakar. Il devrait en être ainsi également de la Guinée dont les frontières terrestres avec le Sénégal, lieu d’intenses échanges commerciaux entre les deux pays, sont restées longtemps bouclées avant d’être rouvertes après la chute d’Alpha Condé. "En plus de la rencontre annuelle de l’Union africaine (UA) en février, le Président guinéen pourra également compter sur le 6e sommet Union européenne-Union africaine avec une perspective de décrocher une plus grande marge de manœuvre", ajoute Dupuy.
"Ce que les Guinéens et les Maliens mettent avant tout, c’est qu’il y a chez les uns et les autres un besoin pressant de réconciliation nationale et de rassemblement qui précède la question électorale et ses modalités de mise en œuvre. C’est un argument de poids et de taille qui est considéré comme une priorité nationale pour la Guinée par le Président de transition Mamadi Doumbouya comme par le Président de transition Assimi Goïta pour le Mali", souligne Emmanuel Dupuy.
En Guinée, "le retour théâtral ou théâtralisé" de l’ancien Président Moussa Dadis Camara et celui, plus discret, de son successeur, le général Sékouba Konaté, en sont des exemples précis. Au Mali, une bonne partie de la classe politique et d’organisations de la société civile ont entamé le 27 décembre, sous l’égide du Président et du Premier ministre de transition, le dernier virage des assises dites de la refondation nationale. Un forum national dont les résolutions devraient intéresser les chefs d’État de la CEDEAO.
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