"C’est plus un effet d’annonce qu’un projet qui va aboutir à de réels changements", balaye d’emblée Pierre Berthelot, chercheur associé à l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). Le géopolitologue commente ainsi la déclaration récente de Naftali Bennett. Le 26 décembre, le chef du gouvernement israélien a affirmé vouloir doubler le nombre de colons vivant sur le plateau du Golan. Dans cette perspective, un plan chiffré à 280 millions d’euros a été approuvé. Tel-Aviv entend renforcer son emprise sur le territoire conquis aux dépens de la Syrie il y a plus de cinq décennies.
Objectif: 100.000 colons sur le Golan
Le projet prévoit que 7.300 unités de logement seront construites dans les cinq ans à venir dans les colonies existantes. Il envisage aussi la création de deux implantations, Assif et Matar, et d’y bâtir 6.000 maisons. Cela devrait permettre d’ajouter au total 23.000 habitants israéliens à la population actuelle du Golan. Ceux-ci viendraient côtoyer les 25.000 Juifs déjà sur place, ainsi que les 23.000 druzes syriens qui ont la résidence israélienne, mais qui ont systématiquement refusé la nationalité. À terme, l’objectif serait d’atteindre les 100.000 résidents ou nationaux israéliens sur le Golan.
"Israël profite de l’affaiblissement de l’État syrien et du fait que Damas ne soit pas en odeur de sainteté au sein de la communauté internationale, pour avancer ses pions", analyse au micro de Sputnik Pierre Berthelot. "C’est un coup de canif en plus dans la souveraineté syrienne sur le Golan: plus la présence israélienne est forte, plus ses armes de négociation sont solides", ajoute-t-il.
Toutefois, le spécialiste ne pense pas que l’annonce de Naftali Bennett représente un point de bascule pour la souveraineté syrienne sur le Golan. Et ce, pour des raisons essentiellement historiques, politiques et démographiques:
"Il n’est pas dit que ce plan fonctionne. Depuis plusieurs décennies, les gouvernements israéliens tentent de peupler le Golan sans succès. Et je ne suis pas convaincu qu’il y ait une hausse spectaculaire des installations dans les années à venir."
Les derniers gouvernements israéliens ont tous tenté d’inciter les jeunes familles israéliennes à s’implanter sur le Golan. En 2017, dans les colonnes du journal Yisrael Hume, Benyamin Netanyahou, alors au pouvoir, invitait les jeunes Israéliens à peupler ce territoire: "C’est votre maison et ça le restera pour toujours."
"Le Golan n’a pas de valeur religieuse importante"
Pourtant, le plateau n’attire pas les foules. La population israélienne est ainsi passée de 12.000 âmes en 1992 à 25.000 trente ans plus tard. Une bien maigre évolution démographique en comparaison avec le boom des colons israéliens en Cisjordanie: en 1989, l’on y dénombrait 70.000 colons. En 2016, ce chiffre passait à 413.000, selon le Centre israélien d’information sur les droits de l’homme dans les territoires occupés.
"Si on regarde l’expansion territoriale israélienne, le Golan n’a pas la même valeur que d’autres territoires tels que la Cisjordanie. Notamment parce que c’est là que sont les lieux les plus saints du judaïsme. Le Golan n’a pas de valeur religieuse importante", rappelle le spécialiste du Proche-Orient.
De plus, l’un des facteurs qui ralentissaient la colonisation était le statut fragile du Golan du point de vue du droit international. Le plateau, conquis par l’État hébreu lors de la guerre de 1967, a été annexé le 14 décembre 1981. Il surplombe de manière stratégique le Nord-Est israélien d’un côté et le Sud-Ouest syrien de l’autre.
L’écrasante majorité de la communauté internationale condamne cette annexion. Seuls les États-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, ont reconnu la souveraineté israélienne sur le Golan en 2019. Cette incertitude au regard du droit international a refroidi les ardeurs colonisatrices, explique notre intervenant. À long terme, d’ailleurs, "on ne peut pas exclure qu’il y ait un retour à la négociation sur ce territoire, comme il y en a eu par le passé."
Les compromis au nom de la coalition gouvernementale
"D’autant qu’il y a une quasi-parité avec la population syrienne, principalement druze, dans cette zone", ajoute notre intervenant.
Pour lui, l’annonce du Premier ministre israélien doit se lire à travers le prisme de la politique intérieure israélienne.
"Il y a une volonté de Naftali Bennett de souder sa fragile coalition qui n’a qu’une voix de majorité", rappelle Pierre Berthelot.
La coalition gouvernementale dirigée par Naftali Bennett regroupe huit partis idéologiquement disparates. Cet agglomérat présente des signes d’impopularité. Un sondage du 6 décembre a révélé une préférence de la part des Israéliens pour l'ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou face à son successeur et en particulier face à Yaïr Lapid, Premier ministre suppléant qui devrait prendre les rênes du gouvernement à partir du 27 août 2023.
Ainsi, si des élections avaient lieu aujourd'hui, 45% des personnes interrogées désireraient voir le président du Likoud, Netanyahou, revenir au pouvoir. Ils ne seraient que 25% à souhaiter le maintien de Naftali Bennett et 24% à soutenir Yaïr Lapid.
Le chef du gouvernement actuel est critiqué sur sa droite pour son attitude "molle" sur l’Iran. Netanyahou, dans une allocution au Parlement au mois d’octobre, s’est fait un plaisir de jeter de l’huile sur le feu. Il a accusé l’exécutif d’avoir fait preuve de trop de tolérance à l’égard des activités nucléaires de Téhéran et de ne pas s’opposer à une éventuelle reprise de l’accord sur l’atome.
Naftali Bennett "cherche ainsi des sujets de consensus", estime, à son tour, le chercheur de l’IPSE. "Peupler le Golan va dans ce sens", conclut-il.