La foule, désormais à quelques dizaines de mètres du palais où siègent les autorités de transition chapeautées par le général Abdel Fattah al-Burhane, auteur du coup d'Etat mené le 25 octobre, avance et recule au gré des charges policières.
A chacune d'elle, de nouveaux blessés sont évacués par des manifestants, a constaté un journaliste de l'AFP.
Des barrages de grenades lacrymogènes attendent également les protestataires qui tentent de traverser les ponts reliant ses banlieues à Khartoum.
Dès les premières heures du jour, les autorités ont tenté de verrouiller le pays. D'abord, l'internet mobile a disparu, puis les communications téléphoniques n'ont plus fonctionné et les manifestants qui prévoyaient de venir des différents quartiers et banlieues vers le palais présidentiel ont découvert que dans la nuit des grues avaient déposé d'énormes containers en travers des ponts sur le Nil.
Dès vendredi, le gouvernorat de Khartoum avait prévenu que les forces de sécurité "s'occuperont de ceux qui contreviennent à la loi et créent le chaos", notamment aux abords "des bâtiments de souveraineté stratégique". A chaque manifestation, les premiers tirs ont lieu devant le Parlement, le palais présidentiel ou le QG de l'armée.
Il n'empêche, ils étaient de nouveau samedi des dizaines de milliers à Khartoum, dans ses banlieues, mais aussi à Madani, à 150 kilomètres au sud de la capitale, à Atbara (nord) et à Port-Soudan (est), selon des témoins, à conspuer l'armée, son chef Burhane et même le Premier ministre civil Abdallah Hamdok sous une nuée de drapeaux soudanais et les youyous de manifestantes.
M. Hamdok a retrouvé son poste en acceptant de reconnaître l'état de fait post-putsch et donc la prolongation du mandat du général Burhane à la tête du pays pour deux ans.
Il y a moins d'une semaine déjà, pour le troisième anniversaire du lancement de la "révolution" de 2018 qui força l'armée à mettre fin à 30 ans de dictature militaro-islamiste d'Omar el-Béchir, les partisans d'un pouvoir civil avait montré qu'ils pouvaient encore mobiliser.
Ce jour-là, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles, fait pleuvoir des grenades lacrymogènes sur les centaines de milliers d'entre eux sortis dans la rue et même recouru, selon l'ONU, à une arme déjà utilisée au Darfour en guerre: le viol.
Samedi, les autorités ont eu recours à un autre outil de taille: comme durant près d'un mois après le putsch, elles ont coupé les Soudanais du monde.
"La liberté d'expression est un droit fondamental et cela inclut l'accès total à internet", a déjà protesté l'émissaire de l'ONU, Volker Perthes, rappelant que "personne ne devrait être arrêté pour avoir eu l'intention de manifester", alors que les militants font état de rafles depuis vendredi soir dans leurs rangs.
Redoutant un nouveau déchaînement de violence, le syndicat de médecins pro-démocratie qui recense les victimes de la répression depuis 2018 a dit "demander au monde de surveiller ce qui va se passer" alors que les militants peinent à faire sortir du pays des images via les militants de la diaspora.
En apparence, après son putsch dénoncé par le monde entier ou presque, le général Burhane a rétabli le Premier ministre civil Abdallah Hamdok, mais le Soudan n'a toujours aucun gouvernement, condition sine qua non à la reprise de l'aide internationale, vitale pour ce pays, l'un des plus pauvres au monde.
En outre, il promet les premières élections libres depuis des décennies en juillet 2023, sans convaincre les partisans d'un pouvoir uniquement civil dans le pays, sous la férule de l'armée quasiment sans interruption en 65 ans d'indépendance.
Ils ont ainsi déjà annoncé qu'ils manifesteraient de nouveau le 30 décembre, alors que le Soudan est englué dans le marasme politique et une inflation à plus de 300%.
Dimanche dernier malgré tout, les anti-putsch ont franchi un palier symbolique important: en soirée, aux portes du palais présidentiel, ils avaient annoncé un "sit-in illimité", le mode opératoire de la "révolution" de 2019 qui, au terme de plusieurs mois de sit-in, avait renversé Béchir.
En quelques heures à peine, les forces de sécurité étaient parvenues à disperser les milliers de protestataires à coups de bâtons.