Réforme de Maastricht: "Les fous furieux du néolibéralisme" rattrapés par le réel

Emmanuel Macron et Mario Draghi veulent en finir avec certains critères de Maastricht. Un pas dans le bon sens, mais qui est loin d’être à la hauteur de la situation, note au micro de Sputnik l’économiste Bruno Tinel.
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Mais où est donc passé le Macron candidat de 2017, féroce défenseur de la rigueur budgétaire? En 2019 déjà, dans une interview accordée à l’hebdomadaire anglais The Economist, le chef de l’État dénonçait les fameux 3% maastrichtiens, seuil du déficit public à ne pas dépasser selon les règles de la zone euro. Il mettait en cause des restrictions qui relevaient d’un "débat d’un autre siècle".
Ce 23 décembre, dans un autre journal britannique, le Président français rempile. Cette fois en posant sa plume aux côtés de l’ex-Président de la BCE et aujourd’hui président du Conseil des ministres d’Italie Mario Draghi, dans une tribune du Financial Times.
"Nous devons disposer d’une plus grande marge de manœuvre et pouvoir réaliser les dépenses clés nécessaires à notre avenir et à notre souveraineté. Les règles budgétaires devraient favoriser la dette créée pour financer ces investissements, qui contribuent indéniablement au bien-être des générations futures et à la croissance à long terme", écrivent ainsi les deux chefs d’État.
Ils prônent la réduction du niveau d’endettement mais sans recourir à l’augmentation des impôts ou à des coupes "insoutenables" dans les dépenses sociales. Pas question pour eux de "tuer la croissance dans l’œuf en rééquilibrant les finances publiques par un ajustement budgétaire qui ne serait pas viable".

Macron "opportuniste"

Un positionnement qui semble bien loin de certaines politiques de rigueur propres au Président de la République. Notamment les 2,6 milliards d’économies réalisées par le gouvernement français en 2018 et 2019 à travers les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui se sont traduites par une baisse du nombre de lits et une fonte de la masse salariale, pour ne citer qu’elles.
Mario Draghi, lui, est plus constant dans son analyse, note au micro de Sputnik Bruno Tinel, économiste, maître de conférences à Paris 1 et coauteur de Vive la dépense publique (Éd. H&O, 2021):
"Il [responsable italien, ndlr] s’était opposé aux politiques d’austérité au niveau européen. Chez Draghi, il y a une certaine constance de ce point de vue là. Chez Macron, c’est moins clair parce qu’il fonctionne plus à vue, il est plus opportuniste", constate le chercheur.
Ce dernier se réjouit toutefois de voir que le discours politique évolue sur cette question, et plus largement sur la notion de souveraineté. Ainsi, "parler de souveraineté, de l’intérêt national d’un pays, c’est aussi moins un gros mot. Tout comme la notion de solidarité nationale". Même si, parfois, ce n’est "pas forcément dans le bon sens puisque certains emploient ces termes-là pour servir leur nationalisme étroit et malvenu".
"Les fous furieux du néolibéralisme, même s’ils n’ont pas abdiqué leur volonté de poursuivre leur politique, se rendent bien compte que cela ne suffit plus", souligne notre interlocuteur.
Ces critères budgétaires de Maastricht remontant aux racines de l’UE, "absurdes", "ne reposent sur rien et ne permettent pas aux gouvernements de mener des politiques économiques efficaces. Notamment pour augmenter la croissance et notre potentiel d’innovation", poursuit-il.

Règles critiquées même à l’Onu

Un avis apparemment partagé même au sein des Nations unies. "Pour bon nombre de pays membres de l’Union européenne, les efforts consentis en vue de remplir les critères budgétaires exigés pour l’entrée dans l’union économique et monétaire ont freiné la croissance et favorisé le chômage", affirmait son rapport annuel sur la situation économique et sociale dans le monde de 2008.
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Si Bruno Tinel note une évolution positive dans le discours politique et la critique des institutions européennes, il dénonce la réponse "petit bras" qu’Emmanuel Macron et Mario Draghi apportent:
"Oui, ça va dans le bon sens car ces règles maastrichtiennes sont débiles, et il faudrait en finir une bonne fois pour toutes. Mais en même temps, qu’ils [politiciens] sont timorés et lents. On a l’impression qu’ils n’ont pas conscience de la situation et de la nécessité d’agir avec plus de sévérité."
Le chercheur prône ainsi plus de détermination, notamment dans le domaine des investissements. "Ils ne proposent pas de relancer les investissements là où il faudrait le faire", regrette-t-il.
Ainsi, le plan de relance européen de 750 milliards d’euros pour faire face au contrecoup économique de la pandémie est, selon lui, "microscopique", "il n’y a rien pour lui succéder". De fait donc, penser régler le problème institutionnel avant de régler le problème politique et économique, "c’est se tromper totalement. On est en train de perdre un temps fou", s’impatiente l’économiste hétérodoxe.

"On est dans une crise profonde de l’investissement au niveau européen"

Sa crainte, c’est qu’en face, "la relance américaine et chinoise va tirer, qu’on le veuille ou non, les taux longs à la hausse. Et pendant ce temps, nous on n’en profite pas pour investir". La perspective d’une économie européenne dans laquelle il n’y aura pas d’inflation ou très peu, mais où il n’y aura pas de croissance non plus, est bien réelle selon lui. Le Vieux Continent pourrait même prendre un dangereux retard au niveau économique face aux mastodontes économiques de ce monde.
"On est dans une crise profonde de l’investissement au niveau européen. L’Europe est en train de décrocher totalement vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. La croissance de long terme marque très fortement le pas chez nous. Et nous sommes en train d’être tiers-mondisés par rapport à ceux qui sont à la frontière du développement industriel", prévient Bruno Tinel.
Dénonciateur du rigorisme budgétaire bruxellois, il voit d’ailleurs dans les propositions faites par Macron et Draghi le spectre de l’austérité réapparaître, avant même qu’il n’ait disparu. Notamment avec le projet d’agence européenne de la dette.
La proposition entend transférer les dettes des États membres, actuellement inscrites au bilan de la Banque centrale européenne, vers une agence européenne différente, chargée de gérer ces dettes et de les refinancer en lançant des emprunts. Ce qui allégerait supposément le bilan de la BCE et aiderait sa politique monétaire.
"Je ne crois pas à cette histoire d’agence de la dette. On n’en a pas besoin. Il n’y a pas besoin d’alléger le bilan de la BCE. Elle n’a pas de contrainte des financements, de bilans", rétorque notre interlocuteur.
Pour lui, l’heure est à l’investissement public. De manière beaucoup plus importante que cela ne se fait actuellement. Autrement, l’Europe et les pays en son sein pourraient être relégués au rang de puissance secondaire. Si ce n’est pas déjà le cas.
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