Première élection présidentielle en Libye reportée: qui est responsable?

Le projet d’élection présidentielle prévu en Libye ce 24 décembre est passé à la trappe. Le géopolitologue Yahia Zoubir revient au micro de Sputnik sur les raisons immédiates –et celles plus profondes– de cet échec.
Sputnik
C’était le secret le moins bien gardé de toute la Libye: les élections présidentielle et législatives de ce 24 décembre n’auront pas lieu. C’est la Haute commission électorale libyenne, basée à Tripoli, qui a annoncé ce 22 décembre qu’elles seraient reportées d’un mois. Reste que cette date doit être validée par le gouvernement de Tobrouk, à l’est du pays fracturé. Rien ne le garantit à ce jour.
Ces scrutins avaient été prévus par la résolution 2570 du Conseil de sécurité de l’Onu. Leur report est dû au fait que les listes électorales, qui sont clôturées, ne peuvent pas être rendues publiques en raison des multiples recours juridiques ouverts à l’encontre de plusieurs candidatures. Notamment celle du Premier ministre par intérim Abdel Hamid Dbeibah, candidat alors qu’il n’avait pas démissionné de son poste trois mois avant l’élection présidentielle, comme le stipule la loi électorale. Cette dernière ne fait d’ailleurs pas l’unanimité dans le pays et constitue un autre frein à la tenue de ces scrutins.
Libye: la Haute commission électorale préconise le report de la présidentielle au 24 janvier
À cela s’ajoutent des candidatures controversées dont celles de Seif al-Islam Kadhafi –fils du défunt Mouammar Kadhafi– et de Khalifa Haftar –l’homme fort de l’Est libyen, à la tête de la puissante armée nationale libyenne (LNA).

Gouvernement unifié ou illusions perdues

Dans ce contexte, "les élections pourraient faire plus de mal que de bien", estime une source proche du dossier. Une inquiétude partagée par le géopolitologue spécialiste de l’Afrique du Nord Yahia Zoubir.
"Dans un pays fragmenté de cette manière, il est impossible d’organiser des élections", estime-t-il au micro de Sputnik.
Pourtant, certains signes avant-coureurs laissaient entrevoir une possible sortie de crise par les urnes. D’abord, la signature d’un cessez-le-feu en mai 2020 entre le gouvernement d’entente nationale (GNA) et les autorités de l’Est alliées du maréchal Khalifa Haftar, signifiant la fin des combats de haute intensité. Ensuite, au mois de mars 2021, la Libye s’était dotée d’un gouvernement unifié. Après le GNA, le LNA avait remis le pouvoir au nouvel exécutif unifié.
Le nouveau gouvernement avait ainsi pour mission de mener le pays vers ces élections du 24 décembre. Près d’un tiers des sept millions de Libyens avaient récupéré leur carte d’électeur.
"Tout le monde attendait ces élections pour sauver la Libye. Nous voulons un Président élu par le peuple pour gouverner le pays", lance à Arab News un épicier libyen, un des nombreux déçus par l’abandon du scrutin.
La réalité chaotique libyenne a néanmoins pris le dessus. Sur le terrain, les tensions sont toujours vives et les milices toujours en place et armées. Сe 21 décembre, des miliciens se sont déployés à Tripoli, faisant craindre une reprise des violences. "Même s’il y avait eu un gagnant à ces élections, il aurait été contesté", estime notre intervenant devant la confusion qui règne dans le pays.
D’autant que la date du report au 24 janvier est loin d’être garantie. Elle relève plus de la chimère, estime Yahia Zoubir. Pour lui, avant de procéder à un scrutin sur fond de divisions héritées de dix années de guerre, les Libyens doivent "passer par la réconciliation nationale et se mettre d’accord sur certains principes de gouvernance". Autrement, "ma crainte", prévient le chercheur, "c’est que les différentes factions reprennent les armes". Un scénario qui n’est malheureusement jamais à exclure en Libye depuis l’intervention de l’Otan en 2011, l’agression qui a "cassé" l’État libyen.
Discuter