Discours sur l’État de la nation en RDC: Tshisekedi défend-il l'indéfendable?

Le Président de la RDC Félix Tshisekedi a livré, devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès, le traditionnel discours sur l’État de la nation. Entre autosatisfaction, défense du bilan de l’année 2021 et réalité des faits, l’écart semble pourtant bien grand. Analyse pour Sputnik de Patrick Mbeko, spécialiste de l’Afrique centrale.
Sputnik
C’est devant les parlementaires des deux chambres réunies en Congrès que le Président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi a livré son traditionnel discours à la nation, ce lundi 13 décembre 2021. Tout a été passé en revue par le chef de l’État congolais: de la question sécuritaire dans la partie est de la République à la situation socio-économique et les prochaines élections, en passant par la diplomatie continentale et le rôle de la RDC à l’international ainsi que la dynamique politique découlant de la crise qui a opposé Cap pour le changement (CACH), sa famille politique, et le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme politique de l’ex-Président Joseph Kabila. Félix Tshisekedi semble n’avoir rien oublié. Le discours était attendu tant les défis et les enjeux auxquels la RDC est confrontée sont énormes.

Les grandes lignes

De son côté en tout cas, le chef de l’État congolais s’est dit déterminé à les relever tous. Dans son discours, il a réaffirmé sa détermination à faire de la RDC un véritable "État de droit", un slogan que ne cessait de brandir son défunt père, l’opposant historique Étienne Tshisekedi. Pour cela, Félix Tshisekedi a promis de poursuivre les réformes amorcées dans le secteur de la justice.
"Aujourd’hui encore sur le banc des accusés, notre justice devait pourtant rassurer tout le monde, nantis ou non, puissant comme faible en n’ayant pour égard que la protection des droits", a souligné le Président congolais pour qui la justice doit non seulement dire le droit, mais aussi "rassurer" que "le bon droit a été dit".
Sur la problématique de la corruption, l’un des maux qui rongent la RDC au point d’en impacter sérieusement le développement, Félix Tshisekedi a affiché sa ferme détermination à la combattre. Il a salué le rôle joué par l’Inspection générale des finances (IGF) "dont le travail était auparavant peu sensible", a-t-il relevé, avant d’annoncer qu’il allait "rendre opérationnels" dans les prochains jours les différents organes et structures de la Cour des comptes "afin qu’elle joue pleinement son rôle de patrouilleur financier en chef, avec l’appui de l’Inspection générale des finances".
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Au plan politique, Félix Tshisekedi s’est montré déterminé à organiser les élections dans les délais constitutionnels. "Mon engagement à faire du Congo un État démocratique ne peut se faire sans l’organisation dans les délais impartis des élections", a-t-il déclaré. Se félicitant des avancées dans la mise en place du bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), il a invité, dans un ton à la limite menaçant, les acteurs politiques "qui traînent encore les pieds à désigner rapidement leurs représentants respectifs" au sein du bureau de la CENI qui est en train de se mettre en place.
Mais c’est surtout sur le registre de la défense et de la sécurité que Félix Tshisekedi s’est longuement étendu. Le Président congolais a insisté sur la nécessité de l’état de siège décrété depuis le mois de mai sur toute l’étendue des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu et a également abordé la question des opérations conjointes menées par les Forces armées congolaises (FARDC) et ougandaises en Ituri depuis le 30 novembre. Tshisekedi a affirmé sa détermination à "ne ménager aucun effort pour restaurer la paix et la sécurité" dans l’est du pays, tout en promettant de veiller "à limiter au temps strictement nécessaire" la présence de l’armée ougandaise sur le sol congolais.

Entre satisfecit et réalités des faits

Durant tout son discours, Félix Tshisekedi s’est montré satisfait de son bilan dans l’ensemble. Aussi bien sur la scène africaine et internationale que sur l’échiquier national, le Président congolais a tenu à mettre en avant ce qui apparaît à ses yeux comme des signes de réussite de sa gouvernance. "La réintégration de notre pays dans le concert des nations est ainsi devenue une réalité", a-t-il souligné, avant d’ajouter: "La RDC s’est ouverte au monde comme un lotus et elle a aujourd’hui le vent en poupe". Des affirmations qui méritent d’être relativisées au regard de la place qu’occupe la RDC aussi bien sur la scène africaine que sur l’échiquier international.
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Il convient de souligner à cet égard que la RDC, qui préside actuellement l’Union africaine (UA), a eu du mal à conduire un certain nombre de dossiers sensibles sur le continent. Dans certaines affaires, la diplomatie congolaise s’est même révélée problématique pour l’image de l’UA. En juin dernier par exemple, la RDC s’est engagée dans la course pour obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies alors que l’UA, présidée, ironie de l’histoire, par Félix Tshisekedi, avait déjà jeté son dévolu sur la candidature du Gabon. Cela avait causé un réel malaise au sein de l’organisation panafricaine.
Toujours dans le même mois de juin, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, préféra inviter le Président sud-africain Cyril Ramaphosa au sommet du G7, ignorant royalement le président de l’UA, Félix Tshisekedi. Certains analystes congolais ont considéré cela comme un désaveu de la présidence de l’UA assurée par la RDC.
Sur le plan régional, le Congo peine à s’imposer face à ses voisins qui semblent lui imposer leurs desiderata. Le territoire congolais est devenu le "terrain de jeu" de certains pays de la région (Ouganda et Rwanda en particulier) et des groupes armés qui leur sont affiliés ou que ceux-ci instrumentalisent pour le besoin de leur cause.
Sur la scène intérieure, Félix Tshisekedi s’est dit satisfait de l’évolution des travaux de la CENI, alors que la désignation à la tête de l’institution de Denis Kadima, un proche du camp présidentiel, continue à susciter des frustrations au sein de la population. À cause de cette affaire, les relations entre le pouvoir et l’Église catholique se sont distendues, en dépit des signes d’ouverture manifestés par les uns et les autres.
Dans le registre sécurité et défense, le Président congolais a défendu le bien-fondé de l’état de siège, remerciant le Parlement de l’avoir reconduit une dizaine de fois. Pour le chef de l’État congolais, l’état de siège est une réussite. Les FARDC "ont fait bouger les lignes" et "des chefs de bande ont été neutralisés", a-t-il souligné. Reste que la situation sécuritaire au Nord-Kivu et en Ituri est loin d’être apaisée. Auditionné fin octobre par l’Assemblée nationale, le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, Gilbert Kabanda Rukemba, a dû reconnaître que l’articulation de l’état de siège sur les terrains kivutien et iturien a été problématique, tant sur le plan opérationnel que logistique. Dans l’ensemble, cette mesure exceptionnelle, censée être limitée dans l’espace et dans le temps, présente un bilan calamiteux, selon les députés congolais.
Le satisfecit de Félix Tshisekedi sur la question sécuritaire est d’autant plus surprenant que plus de 1.000 civils ont été tués depuis l’instauration de l’état de siège, il y a sept mois.
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N’ayant jamais perdu ses réflexes de "combattant", Félix Tshisekedi en a profité dans son discours pour lancer des flèches contre "une infime minorité" de Congolais qui mènent, d’après lui, une "campagne de dénigrement et de démobilisation" contre les opérations menées par l’armée dans la partie orientale. Or, c’est justement parce que les forces de défense et de sécurité congolaises se sont révélées incapables de mettre définitivement fin aux activités des groupes armés qui sévissent dans le Nord-Kivu et en Ituri que l’armée ougandaise est intervenue sur le territoire congolais pour neutraliser les Forces démocratiques alliées (ADF), qui opèrent dans la région. Selon la version officielle bien entendu.
Preuve qu’entre l’autosatisfaction du Président congolais, sa défense du bilan de l’année 2021 et la réalité des faits, il y a un énorme fossé...
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