"Aucune communauté ne crée de sentiment d’appartenance si elle n’a pas des limites qu’elle protège", plaidait en mars 2019 Emmanuel Macron dans une tribune publiée dans les journaux de vingt-huit pays européens.
À quelques jours de la présidence française du Conseil de l'Union européenne qui débute le 1er janvier pour un an, le Président Macron a expliqué vouloir mettre à profit ce mandat pour matérialiser son ambition de réforme de l’espace Schengen. Le but affiché: mieux protéger les frontières européennes.
"Une Europe souveraine, c’est d’abord une Europe capable de maîtriser ses frontières", a tweeté le chef de l’État le 9 décembre.
Crise migratoire entre la Pologne et la Biélorussie, mort de vingt-sept migrants au large de Calais fin novembre sont là pour le rappeler: les migrants toquent avec insistance aux portes de l’Europe.
Face à cela, le Président français compte donc "créer un pilotage politique de la maîtrise des frontières et un mécanisme de soutien d’urgence en cas de crise". Emmanuel Macron a également précisé que l’objectif de la présidence française serait de "passer d’une Europe de coopération à l’intérieur de nos frontières, à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de son destin".
Élection présidentielle en vue
Une proposition politique longtemps défendue par la droite. Notamment par Nicolas Sarkozy, à partir de 2012, depuis qu’il n’est plus au pouvoir en fait. De quoi donc irriter l’opposition, qui crie à l’imposture.
"C’est un grand coup de comm’. La corde est épaisse. Tout le monde l’a compris. On est à quatre mois des élections présidentielles et Macron candidat va proposer tout ce que Macron candidat n’a pas fait", ironise le député du Vaucluse.
Au micro de France Inter, le député européen Jordan Bardella, du Rassemblement national, a également remis en question la sincérité de la démarche présidentielle.
À mesure que le scrutin présidentiel de 2021 se rapproche, l’actuel pensionnaire de l’Élysée multiplie les propositions traditionnellement jugées de droite.
Dans son allocution du 10 novembre, par exemple, Emmanuel Macron évoquait par exemple le report de l’âge de départ à la retraite, des mesures sécuritaires, le contrôle des chômeurs, ou encore la renucléarisation du pays. Des thématiques aux antipodes des divers logiciels idéologiques de la gauche.
Principe de non-admission
C’est pour cette raison que Julien Aubert ne croit guère en la volonté politique réelle de réformer Schengen de la part d’Emmanuel Macron. Celui qui soutient Valérie Pécresse estime d’ailleurs que cette proposition, est trop modeste et trop tardive:
"Ce qu’il propose, il le propose mal. Penser que Schengen fonctionnerait mieux parce qu’il y aurait un pilotage politique, soit de la réunionite régulière de ministres, c’est ne rien comprendre au chaos géopolitique dans lequel l’Europe est plongée, ni aux défauts structurels de Schengen, ni aux défis migratoires", s’emporte Julien Aubert.
Notre interlocuteur estime en effet que Schengen, et plus largement le droit européen actuel, ne protège pas suffisamment les frontières. En particulier lors des crises migratoires comme l’on a pu le constater lors des épisodes de 2016 sur les côtes grecques ou en 2021 à la frontière polonaise.
"Soit l’on abolit Schengen, soit on le garde, mais les “réformettes” visant à le piloter politiquement ce n’est pas la solution", tranche Julien Aubert. Selon lui, les problèmes sont plus profonds que ce que le Président français laisse entendre.
"Ce ne sont pas les États qui contrôlent leurs frontières. De plus, tout le monde n’est pas forcément d’accord pour avoir Frontex, agence qui n’a pas toujours eu les financements conséquents", précise l’élu du Midi.
Emmanuel Macron envisage, avec d'autres pays comme l'Allemagne, d’instaurer la non-admission à l’intérieur de l’espace Schengen. Suivant ce principe, un migrant interpellé dans un pays de l’UE à proximité des frontières internes est considéré comme n’ayant jamais mis les pieds dans le pays en question. Cela avait été expérimenté en 2015 dans les Alpes-Maritimes: à l’époque tout migrant appréhendé à l’intérieur du territoire français à moins de 20 km de la frontière italienne était considéré comme n’ayant jamais été en France. Il était ainsi expulsé illico vers l’Italie.
Une proposition synonyme de réintroduction des contrôles systématiques aux frontières, à l’intérieur de l’Union européenne, pour filtrer les migrants illégaux. Un deuxième filtre de protection après la première frontière européenne, en somme.
"C’est très bien. Il réalise quatre mois avant la Présidentielle qu’il s’est trompé. Tout le monde a droit à l’erreur. Le problème, c’est que quelqu’un qui revient en arrière sur tout ce qu’il a fait, c’est quelqu’un qui n’est pas très crédible pour l’avenir", conclut Julien Aubert.
Pour entreprendre une telle réforme, Emmanuel Macron devrait rallier à lui l’unanimité des vingt-sept. Une condition guère évidente à remplir...