Frégates US en Grèce: n’y a-t-il vraiment aucune menace sur le contrat français?

Washington s’apprête à vendre des frégates à la Grèce. Est-ce au détriment des navires français déjà commandés? Doit-on craindre un nouveau coup de Trafalgar des Américains? En tout cas, l’amiral Coldefy refuse d’envisager cette éventualité.
Sputnik
Un énième coup bas contre les intérêts français se trame-t-il à Washington? Rien ne va plus depuis le 10 décembre, date à laquelle le département d’État a donné son feu vert à Lockheed-Martin pour vendre à la Grèce quatre frégates multi-mission surface combattant (MMSC) et leur armement.
L’annonce a provoqué des remous en France. Paris considère comme acté le choix par Athènes de confier à Naval Group le rajeunissement de la flotte grecque. En marge de la visite officielle d’Emmanuel Macron fin septembre, les autorités locales avaient signé un protocole d’accord avec l’industriel français et ses partenaires pour la livraison d’ici à 2026 d’au moins trois frégates de défense et d’intervention (FDI) Bel@rra.
Annoncé deux semaines après le "coup de Trafalgar" des Anglo-Saxons en Australie, ce contrat revenait lui-même de très loin. Les Américains s’étaient en effet invités dans la danse en octobre 2019, après que Florence Parly avait annoncé la signature d’une lettre d’intention pour l’achat de deux de ces frégates,
Les États-Unis ont proposé aux Grecs deux fois plus de bâtiments pour encore moins cher que l’offre tricolore. Ne reculant devant aucun sacrifice, les Yankees s’engageaient à construire la plupart des navires sur place et à moderniser les quatre frégates allemandes de classe Meko en service dans la flotte hellénique. S’en est ensuivie une bataille navale franco-américaine de dix-huit mois. Donnés perdants face à la puissance de frappe industrielle du numéro un mondial de l’armement, les Français ont multiplié les offres et les rabais.

Une annonce américaine qui tombe mal pour Paris?

Du côté de Ballard, on qualifie l’annonce américaine de simple "processus administratif". On balaie tout risque sur le deal franco-grec, affirmant que celui-ci aurait été "paraphé" par Athènes.
D’ailleurs, l’amiral Coldefy reste optimiste. "Je ne vois pas [l’annonce du département d’État] comme une manifestation anti-française", réagit-il au micro de Sputnik. Pour l’ancien adjoint du chef d’État-Major des armées, la vente de bâtiments de surface ne constitue "pas un sujet majeur" pour Washington.

"Ce n’est pas une industrie par laquelle ils veulent avoir un primat total, comme ils le veulent sur les munitions, sur les avions ou sur certains éléments des systèmes de combat."

Certes, il convient de se garder de toute forme de naïveté face à l’équipe Biden. "Il est clair que ce n’est pas une Administration qui nous apprécie", prévient Alain Coldefy. Lequel n’exclut pas que les États-Unis aient pu envoyer un message à Ankara, voire que toute cette agitation médiatique résulte d’enjeux de politique intérieure: "Nous sommes en campagne électorale. Tout ce qui peut mettre en difficulté le gouvernement actuel va être monté en épingle. Cela fait partie du jeu démocratique."

Lockheed-Martin, un concurrent qui ne s’avoue jamais vaincu

Reste toutefois à savoir, pourquoi maintenant, alors qu’Athènes et Paris sont censés s’entendre définitivement sur les termes de l’accord? "En publiant cette annonce maintenant, les Américains savaient très bien qu'ils pollueraient la phase finale de négociations des FDI", commente auprès de Challenge un proche du dossier. Un cas de figure probable, concède sans grande conviction l’ancien pacha du Clémenceau, qui réaffirme sa confiance dans l’offre tricolore. Les Bel@rra sont des frégates "en avance sur leur temps", insiste-t-il, grâce à l’intégration d’une composante cyber dès la conception. Une véritable innovation de rupture.

"Ce n’est pas une coque avec une machine sur laquelle on ajoute des armes. C’est un système qui est d’abord cyber-défendu, autour duquel on a ajouté une coque et une machine. C’est la première fois que l’on fait ça!"

Clin d’œil aux serveurs embarqués de la FDI française, ainsi qu’à son Cyber Management System (CyMS). Le bâtiment tricolore est ainsi présenté par Naval Group comme un "guerrier numérique", apte à répondre à des attaques informatiques. Un réel plus à l’heure où les systèmes de propulsion et d’armement des navires de guerre restent particulièrement vulnérables à cette menace.
En définitive, l’annonce du département d’État ferait plutôt le jeu de Paris. En effet, face à l’émoi suscité par cette publication, dont les Américains auraient préalablement informés leurs homologues français, la Grèce a confirmé samedi son engagement auprès de Paris.
Pour autant, il est difficile d’exclure toute arrière-pensée américaine. Comment se faire à l’idée qu’un industriel tel que Lockheed Martin puisse… déposer les armes? Preuve de son inextinguible pugnacité, la firme de Bethesda démarche activement les autorités espagnoles pour leur vendre des F-35. Et ce, alors-même que Madrid est partenaire du Système de combat aérien du futur (SCAF) aux côtés de la France et de l’Allemagne. Et Lockheed-Martin entend par ailleurs vendre ses chasseurs à Athènes, bien que la Grèce s’est récemment portée acquéreuse de vingt-quatre Rafale, dont une moitié d’occasion.
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