Présidentielle française 2022

En Arménie, Zemmour joue la carte chrétienne contre l’Orient musulman

Éric Zemmour est en Arménie. Le candidat à l’élection présidentielle défend la chrétienté et se pose en allié d’Erevan "au milieu d’un océan islamique". Derrière cette posture politique, l’ancien polémiste vise l’importante diaspora arménienne.
Sputnik
Et si la course à la présidentielle française passait par Erevan? "De la droite à la gauche française, il y a toujours eu de l’empathie à l’égard de l’Arménie", indique d’emblée Alexandre Del Valle, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient.
"C’est faux de dire que seule la classe politique de droite s’intéresse au sort de l’Arménie. La gauche est également très présente sur les questions liées au génocide et aux lois mémorielles", souligne-t-il au micro de Sputnik.
Mais, pour Éric Zemmour, le but de ce déplacement serait plus global. "Il n’y va pas pour des questions de pleurnicheries mémorielles, il y va avec une idée civilisationnelle, liée à la culture et la chrétienté de l’Arménie", estime notre interlocuteur.
Et c’est peu dire, outre les rencontres avec des hommes d’affaires, des entrepreneurs et des politiques locaux, l’ancien polémiste a assisté à une messe au monastère de Khor Virap, datant du VIIe siècle, dans la région d’Ararat.
"Vous êtes ici à l’aube de l’humanité, de la première nation chrétienne. Il faut venir dans des endroits comme cela pour comprendre les origines de notre civilisation […]. Si nous ne sommes pas ancrés dans ce passé lointain, nous ne comprenons rien à ce qui nous arrive et nous sommes incapables de nous projeter dans l’avenir. L’Arménie nous donne cette leçon-là", a-t-il déclaré après la cérémonie religieuse. Il s’est de surcroît entretenu avec le patriarche de Cilicie des Arméniens Mgr Raphaël François Minassian.

Arménie, Occident: même combat?

Ce voyage du 11 au 14 décembre revêt surtout une connotation hautement politique. L’ancien éditorialiste a également déposé une rose devant la flamme du mémorial des victimes du génocide arménien, à Tsitsernakaberd. "Le génocide arménien s’impose de lui-même et la Turquie a bien tort de le nier", a déploré Éric Zemmour. En effet, Ankara refuse toujours de reconnaître comme génocide les massacres de la communauté arménienne perpétrés par l’Empire ottoman au début du siècle dernier. "Chaque fois, l’Orient et l’Occident ont trouvé des champions pour s’affronter […]. On le voit ici, avec l’Arménie, nation chrétienne […] au milieu d’un océan islamique", a-t-il poursuivi.
Ainsi, Éric Zemmour se servirait du sort de l’Arménie pour faire entendre sa logique géopolitique. "On est là au cœur de la guerre de la civilisation", a martelé le candidat à l’élection présidentielle.
Et c’est en ça qu’il reprendrait la fameuse théorie de Samuel Huntington. En 1993, dans un article, puis dans son ouvrage Le Choc des civilisations, paru en 1996, le chercheur américain décrit un monde divisé en sept aires civilisationnelles bien distinctes. Alors que l’Occident voit son influence et sa puissance décliner, l’auteur prédit que les blocs asiatiques et musulmans combleront le vide en affirmant à leur tour leurs propres modèles culturels, sociaux et économiques.
Éric Zemmour intègre de ce fait l’Arménie à l’Occident en opposition à l’Orient musulman. Mais cette théorie du choc des civilisations reste pour le moins approximative dans le dossier arménien. Certes, l’Arménie chrétienne était opposée à l’Azerbaïdjan et la Turquie musulmanes dans le conflit du Haut-Karabakh, mais Israël, nation juive, a apporté son soutien à Bakou, tandis que l’Iran, pays chiite, est lui resté neutre.

600.000 électeurs potentiels à aller chercher

Il n’en demeure pas moins que le leader du parti de la Reconquête a voulu mettre en exergue les desseins panturquistes. "De nouveau, [l’Arménie] est harcelée, et par son voisin l’Azerbaïdjan, et surtout par la Turquie derrière", a-t-il déclaré. En effet, au cours du précédent conflit en novembre 2020, Erevan a été défait et contraint de signer un cessez-le-feu. Le pays a de surcroît cédé plusieurs régions dans le Haut-Karabakh, avec la rétrocession du district d'Agdam, celui de Kelbadjar et de Latchine à Bakou. Malgré la fin des hostilités, les tensions restent régulières à la frontière. "Zemmour veut témoigner son soutien à l’Arménie chrétienne, victime de l’expansionnisme turc", résume Alexandre Del Valle.
À l’avenir, la France pourrait endosser un rôle plus important dans ce dossier, si Éric Zemmour venait à être élu.
"Emmanuel Macron a eu une position ferme sur ce dossier. Il a tenu tête à Erdogan quand il le fallait. Après, sa politique a ses limites compte tenu de notre rôle dans l’Otan. Nous devons être solidaires avec les autres pays membres, à savoir avec la Turquie et non avec l’Arménie", souligne le géopolitique.
Alors qu’Éric Zemmour, fidèle à sa pensée gaulliste, "voudra sortir du commandement intégré de l’Otan, il y a en ça une cohérence dans son positionnement: il est pro-arménien et veut sortir de l’organisation atlantique", analyse notre intervenant.
"Je pense que l'Otan aurait dû se dissoudre en 1990 quand l'URSS a disparu, et quand le Pacte de Varsovie a disparu", avait en effet déclaré le candidat souverainiste lors de son débat contre Jean-Luc Mélenchon en septembre dernier.
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Ainsi, dans une volonté d’unir l’Arménie à l’Occident au sein même d’une communauté de destin, Éric Zemmour n’hésite pas à établir un parallèle entre le sort d’Erevan et celui de la France.
"D’Erevan à Nanterre, de Karakoch à Saint-Étienne-du-Rouvray, chrétiens d’Orient et d’Occident sont en grave danger", s’alarme le candidat. "Il y a bien évidemment une posture électoraliste", rappelle Alexandre Del Valle. La communauté arménienne française représente tout de même 600.000 personnes. "La France a été le pays qui a accueilli le plus d’Arméniens après le génocide, ils sont surtout présents à Valence, à Marseille et en Île-de-France", précise-t-il.
Mais, pour s’emparer des voix de la diaspora arménienne, Éric Zemmour devra jouer des coudes. Valérie Pécresse, en lice pour les Républicains, se rendra également sur place à la veille de Noël. "Aucun homme politique français ne peut contourner la question arménienne", conclut le géopolitologue.
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