Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont les États-Unis se sont vus propulsés comme la première puissance industrielle mondiale, les modes de gestion quasi militaires adoptés dans les entreprises pour soutenir l’effort de guerre ont servi de base doctrinale au développement des théories du management moderne. Toute une myriade de théories de la motivation, aussi bien des dirigeants que des employés ou des ouvriers, a vu le jour. Néanmoins, ces dernières n’ont toujours pas réussi à résoudre les problèmes liés à la légitimation du pouvoir des dirigeants auprès des employés et les façons dont ces derniers sont incités à être créatifs, vigilants, intelligents, dévoués… dans ce qu’ils font pour leur entreprise.
Dans ce 26e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, affirme auprès de Sputnik que "pour plusieurs raisons factuelles, il est clair que le mode de relations existant entre +dirigeants et dirigés+ y est pour beaucoup dans les blocages actuels au sein des entreprises nord-américaines".
La problématique
Pour le professeur Aktouf, "la comparaison des niveaux de productivité, de rentabilité, de qualité et d’engagement des employés entre les deux modèles rivaux dominants - celui du capitalisme financier anglo-saxon d’un côté, et celui du capitalisme industriel et fortement technique de pays tels que ceux de l’Europe du Nord (Scandinavie, Allemagne), ou du sud-est asiatique (Japon, Corée du Sud)- montre une supériorité certaine du second".
Et de s’interroger: pourquoi y a-t-il des cultures d’entreprises engendrant qualité et productivité jamais démenties d’un côté, et d’autres ne générant pratiquement que stress, démobilisation, désengagement, basse qualité… d’un autre côté? Alors que la valeur ajoutée, la productivité, l’innovation, l’efficacité… et ladite +qualité totale+ ne peuvent provenir que de ce que l’intelligence collective et la synergique des employés peut ou veut donner, ne serait-ce pas la légitimité des personnes qui se présentent en +dirigeants+ qui serait en cause?".
À ce titre, l’interlocuteur de Sputnik explique qu’il "est nécessaire de se pencher sur les théorises du leadership, développées totalement et exclusivement aux États-Unis, afin de les déconstruire et montrer comment les principes, sur lesquels elles sont édifiées, tirés des travaux de grands penseurs, à l’image du savant allemand Max Weber, ont été totalement dévoyés".
Dans le même sens, il affirme que "Max Weber, sociologue et philosophe allemand, a très indirectement fourni au management un complément de bases rationnelles, dont il avait besoin pour s’appuyer sur des théories scientifiques. Peut-être mal compris, mais incontestablement utilisé à outrance, Weber est certainement un bon exemple de théoricien importé sans discernement dans la pensée du management".
L’autorité chez Weber
"Max Weber a élaboré une des plus rigoureuses analyses du phénomène autorité-pouvoir", indique M.Aktouf, précisant que "sa conception de l’autorité était d’un point de vue des principes et des valeurs et pas du tout liée au pouvoir exercé par un homme".
Et de détailler que "Weber avance trois types d’autorité: l’autorité traditionnelle, dont le pouvoir est légitimé par le fait que ce sont les coutumes établies et acceptées, la tradition, qui désignent les personnes en position de domination. L’autorité légale, dont le pouvoir en place est légitimé par la force de la loi et la réglementation rationnellement établie. Et enfin, l’autorité charismatique: le pouvoir tient sa légitimité du charme émanant de la personne elle-même, de l’allégeance et du dévouement qu’elle suscite grâce à sa valeur, à ses dons, ses qualités exceptionnelles, ses idées et ses convictions".
Enfin, il souligne que "Weber a été un de ceux qui ont activement contribué à faire enseigner la pensée de Karl Marx à l’université, et son attitude envers lui était à la fois bienveillante et critique". Ainsi, "son intégration à l’école classique-scientifique du management traditionnel n’est au mieux que pure fantaisie ou ignorance et, au pire, que sombre manipulation et détournement de savoir".