Le foie gras banni: "Les traditions sont faites pour évoluer avec les attentes sociétales"
Plusieurs municipalités de gauche comme Lyon ou Strasbourg ont retiré le foie gras du menu des évènements officiels. Des choix qui suscitent la colère de la filière, mais ravissent les associations de protection animale, à l’image de L214.
Sputnik"
L’interdiction, ça sert l’intérêt général". Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle, donne raison au maire de Lyon Grégory Doucet (EELV). Celui-ci a
retiré le foie gras de certaines réceptions officielles. Et cela "
peut avoir du sens", selon Jadot.
"On parle de 40 millions de canards et de quelques centaines de milliers d’oies qui sont tués chaque année. L’interdiction est donc un signal assez fort envoyé par cette municipalité, car c’est une souffrance importante pour les oiseaux concernés", se réjouit au micro de Sputnik Barbara Boyer, responsable communication de l’association L214.
Sans compter qu’au-delà du gavage, ce seraient environ "16 millions de canetons femelles qui sont gazés ou broyés dès la naissance, car dans l’industrie du foie gras, on utilise le foie des mâles, mais pas celui des femelles qui est trop petit", avance la militante.
L’interdiction de cette spécialité gourmande a pourtant provoqué un tollé. L’ancien édile Gérard Collomb l’a jugé ainsi: "dommage pour Lyon, capitale de la gastronomie". D’autres grandes villes de gauche comme Strasbourg, Grenoble ou encore Villeurbanne, ont cependant également banni ce mets afin de protester contre la pratique du gavage.
Pas de souffrance animale dans le gavage?
Cette tendance inquiète donc la filière foie gras. Marie-Pierre Pé, directrice du comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras, a fustigé sur RMC une décision "incompréhensible".
Elle a pointé du doigt l’association américaine Peta, qu’elle qualifie d’"extrémiste", et l’a accusée de "diaboliser notre production et d’influencer les élus écologistes". Selon Marie-Pierre Pé, il n’y aurait pas de "souffrance animale" dans le processus de fabrication du foie gras: "Nos conditions d’élevage sont tout à fait dans les attentes des citoyens […] La phase d’engraissement qui dure dix jours à raison de deux repas par jour se fait dans le respect du cycle de digestion des animaux. Avec un geste expert qui permet d’alimenter manuellement l’animal", a-t-elle détaillé.
"En France, l’élevage est très majoritairement, pour ne pas dire quasi exclusivement, industriel. On est loin de l’image d’Épinal qu’essaie justement de véhiculer cette filière où l’on va avoir cette petite mamie qui gave quelques oies à la main", rétorque Barbara Boyer.
C’est un système, selon la militante, où "l’on produit énormément et pour ce faire, il faut passer par des modes d’élevage intensif".
Elle rappelle que l’idée du gavage est de "faire ingérer des quantités astronomiques aux canards et aux oies"."Le foie va grossir et prendre jusqu’à dix fois son volume normal. En faisant cela, on provoque une maladie du foie qui s’appelle la stéatose hépatique", décrit Barbara Boyer.
Une pratique qui est d’ailleurs interdite au niveau européen. La directive 98/58/CE concernant la protection des animaux indique en effet qu’aucun animal ne doit être "alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles".
Une exception française
Plusieurs pays, comme le Danemark, le Royaume-Uni ou l’Australie ont prohibé la production de foie gras. L’Inde a stoppé son importation depuis 2014. La ville brésilienne de Sao Paulo a décidé d’interdire sa commercialisation en 2015 et New York suivra le même chemin à partir de 2022.
"En France, on est un peu un pays d’“exception”, car on est le premier producteur mondial de foie gras, avec environ 70% de la production mondiale. On est aussi le premier consommateur. On le présente comme un produit de luxe pour les fêtes, alors que sa production est interdite quasiment partout", regrette Barbara Boyer.
En effet, sur les 24.000 tonnes de foie gras produites, 70% de cette production est française, soit 19.200 tonnes. Le foie gras bénéficie en outre de la reconnaissance officielle "patrimoine culturel et gastronomique en France" depuis 2006, en vertu de l’article 654-27-1 du Code rural, ce mets faisant partie de la tradition française.
Ainsi Alexis Villepelet, porte-parole de Debout la France, a-t-il fait part de sa colère en expliquant sur Twitter qu’il avait "assez de ces écolos-dingos à la sauce Staline qui cherchent à régenter nos vies et décider de notre alimentation".
Des accusations qui amusent Barbara Boyer:
"Les traditions sont faites pour évoluer avec les attentes sociétales. Aujourd’hui, il y a des attentes de la part des Français qui sont fortes au niveau du bien-être animal. Un sondage indiquait que 47% Français pourraient être influencés par les prises de position que feront les candidats à la Présidentielle sur la question animale", fait valoir la militante.
Si, selon une enquête CSA, 91% des Français en consomment chaque année, une autre étude montre qu’ils souhaiteraient des produits plus respectueux de la condition animale. Ainsi, un sondage datant de 2018, mené par L214, indiquait que
six Français sur dix se diraient favorables à l’interdiction du gavage. Et 76% d’entre eux expliquaient que, s’ils avaient le choix, ils privilégieraient un foie gras sans gavage.
Reste que les éleveurs qui ne gavent pas les animaux sont confrontés à un problème d’appellation. Et pour cause, pour utiliser la dénomination "foie gras", il faut avoir recours à la technique… du gavage.
Alors, pourquoi ne pas consommer une "alternative végétale", glisse Barbara Boyer. "Il y a énormément de créativité dans le paysage gastronomique français. Il est temps d’innover et d’agir pour réduire le nombre d’animaux que l’on tue pour se nourrir et qui nous met en danger d’un point de vue climatique".