Ex-ambassadeur canadien à Moscou: "L’intention de la Russie n’a jamais été d’envahir l’Ukraine"

Le ministre canadien des Affaires étrangères a demandé au Kremlin "de désamorcer les tensions" liées à l’Ukraine. Mais selon Gilles Breton, ex-ambassadeur canadien à Moscou, Ottawa n’est pas en mesure de faire des demandes à la Russie.
Sputnik
"L’intention de la Russie n’a jamais été d’envahir l’Ukraine", tranche d’entrée de jeu Gilles Breton. Ambassadeur du Canada à Moscou de 2008 à 2012, il estime que le Kremlin voulait d’abord "forcer le dialogue" avec Washington en ce qui concerne la question ukrainienne et l’expansion de l’Otan. Rappelons qu’une rencontre en visioconférence a eu lieu le 7 décembre dernier entre Vladimir Poutine et Joe Biden.
"Le fait qu’il y ait eu une discussion entre les deux dirigeants est un bon signe, et le fait qu’ils n’aient pas seulement parlé des enjeux liés à l’Ukraine et l’Otan aussi. […] De son côté, le Président Biden s’est servi du prétexte de l’invasion de l’Ukraine pour justifier ce dialogue avec son homologue", analyse l’ex-ambassadeur à notre micro.
Pour Gilles Breton, Ottawa est condamné à suivre la position adoptée par Joe Biden dans ce dossier, d’autant plus que le soutien inconditionnel du Canada à l’Ukraine le rendrait peu crédible comme interlocuteur.

Demandes peu crédibles de la part du Canada

Lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Otan à Riga, en Lettonie, Mélanie Joly, la ministre des Affaires étrangères du Canada, a demandé à Moscou "de désamorcer les tensions" et de mettre fin au "déploiement de troupes et de matériel russes en Ukraine et dans les environs". Une demande qui ne s’appuie sur rien de concret, selon Gilles Breton:
"Le Canada ne fera rien, il n’a pas d’influence. Le Canada est tellement proche de l’Ukraine et inversement que sa parole devient sans effet. Le Canada est un allié indéfectible de l’Ukraine et Washington n’a pas besoin du Canada pour trancher. […] Par contre, le Canada va toujours continuer de soutenir l’Ukraine, mais il pourrait prendre ses distances avec le Président Zelensky", souligne l’ex-ambassadeur.
Les relations russo-canadiennes se trouvent dans une impasse depuis que le gouvernement du Premier ministre canadien Stephen Harper (2006-2015) a pris ses distances avec Moscou en 2014. À la suite de la réintégration de la Crimée dans la Russie, Ottawa avait décidé d’imposer des sanctions contre Moscou. Des mesures de rétorsion élargies à plusieurs reprises après la riposte du Kremlin. Les sanctions canadiennes consistent en un "gel des avoirs et une interdiction des transactions" à l’encontre de plusieurs citoyens et entreprises russes. Quant à la Russie, elle a interdit l'entrée sur le territoire du pays à plusieurs responsables canadiens.

D’importants partenariats militaires entre le Canada et l’Ukraine

Le Canada a lancé Unifier en 2015: la mission de formation et de renforcement des capacités militaires des Forces armées canadiennes en Ukraine. Selon les informations partagées par Ottawa sur son site officiel, l’armée canadienne a formé plus de 12.500 soldats ukrainiens depuis le lancement de cette mission. Les Forces armées canadiennes collaborent aussi avec l’armée ukrainienne dans le cadre du Programme d’instruction et de coopération militaires d’Ottawa, programme dont Kiev est le principal bénéficiaire.
D’ailleurs, le 8 décembre dernier, Andrii Bukvych, le chargé d’affaires de l’ambassade de Kiev à Ottawa, a rappelé au gouvernement Trudeau que l’Ukraine souhaitait recevoir davantage de militaires canadiens. Environ 200 soldats des Forces armées canadiennes s’y trouvent actuellement. Justin Trudeau n’exclut pas d’envoyer d’autres hommes dans les prochaines semaines. Le nombre de 500 a été avancé par M. Bukvych.
"Les Canadiens qui sont en Ukraine maintenant sont là pour faire de la formation, ils ne sont pas là pour faire du combat, et ça, ça ne changera pas", a toutefois tenu à préciser le Premier ministre canadien.
Il faut également souligner que depuis 2019, le Canada et le Royaume-Uni jouent le rôle d’ambassade point de contact de l’Otan à Kiev.
"Les ambassades points de contact appuient le partenariat et les activités de diplomatie publique de l’Otan dans les pays partenaires. Le Canada appuie le groupe de travail conjoint Otan-Ukraine sur la réforme de la défense", peut-on lire sur le site du gouvernement canadien.
Ancien chef adjoint de la mission diplomatique du Canada dans la capitale russe, Gilles Breton estime que la posture canadienne dans ce conflit est trop influencée par la diaspora ukrainienne, un important électorat au pays. Dans son livre Un selfie avec Justin Trudeau paru en 2018 (éd. Québec Amérique), Jocelyn Coulon, ex-conseiller du ministre canadien des Affaires étrangères en 2016-2017, déplore aussi la "place disproportionnée" qu’occupe le pays de Makhno dans la politique étrangère canadienne.

Le lobby ukrainien dicte-t-il la position du Canada?

Cela étant, l’Ukraine est "le pays qui a le plus à perdre" dans le conflit, poursuit Gilles Breton, d’autant plus que le dialogue entre la Russie et les États-Unis porterait maintenant "sur des questions qui dépassent largement" ce seul pays:
"Plus le conflit durera et plus il profitera à la Russie, qui est habituée à composer avec des conflits gelés. […] Après la rencontre, le fait que Joe Biden se soit d’abord retourné vers ses collègues de l’Otan avant de rappeler Zelensky envoie le signal diplomatique que la discussion se passe entre les grands pays de l’Alliance et la Russie. Le message que ça semble envoyer, c’est que l’Otan passe avant l’Ukraine."
Gilles Breton persiste et signe: soutenir sans concession l’Ukraine "met Ottawa dans une situation où il est extrêmement difficile d’avoir une contribution utile dans la négociation".
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