Faire sauter le verrou des restrictions budgétaires qui briment un financement large et adéquat de la lutte antiterroriste et antidjihadiste au Sahel. C’est la préconisation défendue par le Président Macky Sall lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, qui a pris fin le 7 décembre. Selon le chef d’État sénégalais, le carcan qui limite les moyens des États ouest-africains face au terrorisme bloque le renforcement des capacités d’intervention des forces de sécurité.
"Devant la montée du péril terroriste, il nous faut plus de flexibilité budgétaire pour permettre à nos pays de se donner les moyens d’assurer un minimum de défense nationale avec des armées bien entraînées et bien équipées", a expliqué le Président sénégalais.
Selon Macky Sall, si "la sécurité n’a pas de prix, elle a néanmoins un coût" qu’il convient de supporter à travers les budgets des États confrontés aux violences terroristes dans l’espace sahélien.
Aujourd’hui, il n’est pas certain que l’UEMOA, engagée depuis plusieurs années dans un processus de rigueur budgétaire drastique, soit emballée par une nouvelle doctrine économique qui laisserait prospérer une politique commune débridée au rythme du "laisser-faire laisser-aller".
"Macky Sall est seul dans ce combat car les pays de l’UEMOA sont à des taux d’endettement de 40% environ alors que [le Sénégal est] presque à 70% hors endettement des sociétés publiques. […] Il est le seul à parler d’annulation de la dette ou de flexibilité des critères de convergence. C’est difficile pour lui car [le Président ivoirien] Alassane Ouattara qui aurait pu peser de son poids avec son passé de n°2 du FMI n’en parle jamais", écrit sur son compte Twitter l’économiste sénégalais Mbaye Sylla Khouma.
Les huit États signataires du Pacte de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et ayant le franc CFA en commun sont tenus de respecter plusieurs critères de convergence. Ainsi, le déficit budgétaire est toléré jusqu’à 3% alors que la dette intérieure et extérieure est plafonnée à 70% du produit intérieur brut (PIB). "Le non-respect [de ces critères-ci et d’autres] entraîne la formulation explicite de directives à l’État membre concerné d’élaborer et de mettre en œuvre un programme de mesures rectificatives", avertit le Pacte. Pour le Président Sall, "il est insensé d’exiger des pays sahéliens un [tel] déficit budgétaire alors qu’ils n’ont pas les mêmes niveaux de développement que l’Europe".
"Il ne s’agit pas seulement d’un problème ‘de déficit autour de 3%’ mais plutôt d’une question de redevabilité concernant les montants financiers injectés dans le secteur de la défense et de la sécurité. Les dépenses militaires des États doivent être encadrées par la transparence. L’audit des marchés de la Défense au Niger est un parfait exemple qu’il faut méditer", rétorque Birahime Seck, coordonnateur général du Forum civil, la branche sénégalaise de Transparency international (TI) dans des propos confiés à Sputnik.
Présent au Forum de Dakar, le Président nigérien Mohammed Bazoum, ex-ministre de l’Intérieur et principal sécurocrate du régime à Niamey, connaît bien le dossier révélé par le journaliste d’investigation nigérien Moussa Aksar et faisant état de malversations financières à hauteur de 71 milliards de francs CFA (plus de 108 millions d’euros) dans des achats d’armes supervisés par le ministère nigérien de la Défense.
"Une évaluation conséquente des dépenses militaires s’impose. C’est pourquoi nous vous encourageons à mener une lutte contre la surfacturation, le clientélisme, la corruption et les détournements sur les budgets des armées africaines. Nous vous proposons aussi d’aider à vulgariser l’indice de gouvernance des dépenses de sécurité et de lutter contre l’opacité des contrats de défense", a adressé Birahime Seck au chef de l’État sénégalais.
En février 2022, le Président Macky Sall va assurer, au titre de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), la présidence tournante de l’Union africaine. À cet effet, il devrait faire du financement de la lutte antiterroriste au Sahel un dossier important au cours de son mandat d’un an. Mais sera-t-il soutenu par ses pairs? L’UEMOA entendra-t-il son plaidoyer? Selon Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, il faut agir vite.
"En termes de paix et de sécurité, l’heure est grave […] et l’Afrique n’a jamais été aussi menacée par le terrorisme et l'instabilité", a dit dans une allocution l’ancien ministre tchadien des Affaires étrangères.
Le Forum de Dakar est co-organisé par la France et le Sénégal depuis 2014. L’édition 2022 qui s’est achevée le mardi 7 décembre a vu la présence des Présidents Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Mouhamed Ould Gazouani (Mauritanie) et Umaru Sissoco Embalo (Guinée-Bissau) aux côtés du chef d’État sénégalais et de plusieurs hautes personnalités et experts en sécurité.