Murano, île emblématique de la lagune, brille de toutes les couleurs du célèbre verre vénitien. Pour combien de temps? Depuis deux mois, un air arctique souffle dans les fabriques: le prix du gaz, matière première indispensable pour transformer le sable en millefiori et lattimo, flambe.
Résultat: 12 fours sur les 14 de la verrerie Effetre sont actuellement à l’arrêt, déplore Cristiano Ferro, propriétaire avec son frère Ivano de l’entreprise. Il précise à Sputnik qu’en attendant de trouver une solution, l’entreprise a également mis deux tiers du personnel au chômage technique.
"Nos fours sont allumés 24 heures par jour [pour assurer la continuité du processus de fabrication, ndlr], donc nous consommons une quantité importante de gaz. Ces 10 à 15 dernières années, son prix s’était stabilisé à 22-23 centimes par m3", explique le verrier au micro de Sputnik.
Mais en octobre, une mauvaise surprise attendait l’entreprise: l’habituelle facture de 40.000 euros a bondi à 170.000 euros. Soit une augmentation de 360 %! Une somme non négligeable, car la verrerie Effetre utilise entre 100 et 150.000 m3 de cette matière première pour produire des cannes en verre, transformées par la suite.
Toute la filière verrière menacée
"C’est un chiffre avec lequel on ne s’en sort plus", souligne le propriétaire. Et, visiblement, les perspectives ne sont pas radieuses: le gaz était à 95 centimes en octobre et 88 centimes en novembre et "probablement, en décembre il pourrait dépasser un euro par m3".
"Aujourd’hui, pour nous, il n’est plus possible de produire. On est obligés de fermer 90 % de nos fours et nous travaillons sur les stocks. Si ces conditions s’installent dans le temps, c’est la fin de la verrerie d’art à Murano", déplore Cristiano Ferro.
Des courriers sont partis pour demander "une subvention de la part de la région de Vénétie". Si la subvention est accordée, cela "permettrait de tenir deux ou trois mois". "Après quoi, soit l’État italien intervient, soit le prix du gaz baisse", suppose Signor Ferro.
Le problème est non seulement qu’avec l’augmentation du prix du gaz, "les prix des produits augmenteront de 30 à 40 %". Elle menace aussi la production vénitienne sur le marché extérieur, passablement fragilisée par la concurrence avec la Chine.
"Quand nous ne produirons plus, il n’y aura plus de matériau pour produire des perles. Nous travaillons non seulement pour nous, mais nous faisons travailler tout Murano. Comme d’autres productions sont liées à nous à d’autres niveaux, nous sommes la partie visible de l’iceberg", assure Cristiano Ferro.
On retrouve les mêmes inquiétudes dans les rues étroites de Venise, où les vitrines croulent sous les objets en verre. Une manne pour les touristes, plus préoccupés par le prix abordable d’un souvenir (souvent importé) que par la survie de la tradition vénitienne ancestrale.
"Patrimoine de l’humanité" en péril
Marisa Convento est créatrice de bijoux d’exception et héritière d’un ancien métier que l’on appelait auparavant "impiraressa", de l’italien "impirar", enfiler. Même si son travail n’est pas directement touché, l’artiste demeure inquiète:
"Les perles que j’utilise proviennent d’anciennes productions qui ne sont pas influencées par le prix de gaz qui monte, monte. Mais les perles qui sont travaillées avec la fusion du verre autour d’un petit bâton de métal sont liées à l’utilisation du gaz pour fondre le verre."
Les artisans qui fabriquent et utilisent le verre d’art traditionnel, tel que le millefiori, le fiorato, des perles décorées avec une pâte de verre vénitienne ou avec la feuille d’or, mettent leurs espoirs dans l’État italien ou même dans l’Union européenne. Ils espèrent voir arriver "de l’argent en faveur des usines des verriers de Murano pour les aider à payer le prix actuel du gaz, qui a monté".
"Il faut préserver ce savoir-faire italien, mais plus encore, un savoir-faire du patrimoine de l’Humanité. Si on perd un métier d’art comme le travail sur le verre, c’est perdu pour l’Humanité entière", conclut Marisa Convento.