Depuis l’avènement de l’entreprise moderne dans le sillage de la Révolution industrielle du XIXe siècle, la question de la motivation des employés, dirigeants et simples ouvriers demeure à ce jour l’enjeu central auquel les spécialistes de la gestion ont réservé une bonne part de leurs travaux.
Dans ce 25e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, affirme auprès de Sputnik que "certaines théories de la motivation développées par les penseurs néolibéraux, notamment américains, sont même basées sur des déductions d’expériences menées en général sur des animaux (souris, pigeons, chiens) et extrapolées à la psychologie et au comportement humains".
"Établir l'harmonie entre l'homme et son milieu"
"Le travail humain est par définition une constellation d'actes notamment de relations, de sentiments, de paroles, de créations, d'imagination et de pensées, c'est-à-dire un réseau de mises au monde des multiples facettes de la tâche exécutée", affirme le professeur Aktouf, expliquant que "son rôle ultime est d'établir l'harmonie, en tant que médiateur, entre l'homme et son milieu". Et de s’interroger: "est-il possible que l’employé, qui est réifié et mis au rang d'instrument de production, déniant ainsi toute racine ontologique, donc toute signification à son acte, puisse être dévoué et motivé dans son travail?".
En réponse à cette question cruciale, Omar Aktouf rappelle que "les behavioristes (comportementalistes) voient l’activité de l’être humain comme une série de réactions et une résultante de chaînes de causalité où l'homme est plus passif qu'actif. Par voie de conséquence, les principes qui guident les conduites humaines peuvent être dérivés de l'étude d'organismes plus simples. À titre d’exemple, les petits animaux de laboratoire comme les rats ou les pigeons".
Les travaux de Frederic Skinner
Parmi tous les behavioristes, Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) est celui dont les travaux ont le plus porté sur l’expérimentation animale. En effet, vers la fin des années 1940, "Skinner a mené des travaux largement portés sur les rats, dont les résultats ont fourni plusieurs bases des théories de la motivation, de l’apprentissage, des systèmes de récompense/punition, qui constituent la matière des sciences du comportement organisationnel", informe l’interlocuteur de Sputnik.
Dans le même sens, il indique que "le dispositif expérimental utilisé, dit +boîte de Skinner+, a simulé la manière dont un conditionnement opérant peut être mis en place, comme l’a théorisé quelques années auparavant Pavlov. L’expérimentateur utilise un stimulus pour apprendre à l’animal à avoir toujours la même réponse face à un même signal perçu".
Pour renforcer l’apprentissage de l’animal, explique-t-il, "l’expérimentateur va utiliser deux types de renforcement. Le premier est le renforcement positif: ici le rat va obtenir de la nourriture quand son comportement correspond au stimulus que l’on veut renforcer. Le second est le renforcement négatif: dans ce cas, l’animal va recevoir une punition par le biais d’une décharge électrique quand son comportement ne correspond pas au stimulus que l’on veut renforcer. C’est à partir des conclusions de ce genre d’expériences que des théoriciens du management néolibéral américain ont mis sur pied leur théorie de la motivation pour les ouvriers en entreprise".
En conclusion
Quelle est donc la méthode qui réhabilitera l'homme comme sujet et acteur actif dans son devenir, dans son travail et comme fait social intégrant l'être, l'expérience et le milieu dans une même unité, certes complexe, mais qui permet d’appréhender cette réalité dans tous ses aspects?
Pour Omar Aktouf, "un plus grand nombre de possibilités d’expression et d’autonomie augmentent l’intérêt pour le travail, ce qui donne des employés plus motivés, et donc de meilleurs résultats". "Ces résultats ne sont possibles que si l’organisation est conçue de manière non pas à mieux exercer le pouvoir et à mieux contrôler, mais à permettre l’intérêt, l’expression et l’engagement de chacun. Il est possible d’y parvenir en accordant aux employés un minimum d’autonomie et de conditions où chacun sera un auteur actif, et non plus un instrument passif à qui l’on dicte ses gestes", conclut-il.