Délit de harcèlement scolaire: avancée considérable ou surenchère répressive?
Afin de lutter contre le harcèlement à l’école, l’Assemblée nationale a voté la création d’un nouveau délit dans le Code pénal. Une avancée juridique que loue Laurent Boyer, président de l’association "Les Papillons".
Sputnik"
En se proposant de légiférer sur une telle question, les représentants de la nation envoient un message d’une grande puissance". Jean-Michel Blanquer a affiché sa satisfaction alors que le 1er décembre, l’Assemblée adoptait la proposition de loi en vue de lutter contre le
harcèlement scolaire. Pour le ministre de l’Éducation nationale en effet, "
combattre le harcèlement et le cyberharcèlement, c’est faire vivre la fraternité".
Il faut dire que la situation est préoccupante: chaque année, ce sont 700.000 élèves qui sont victimes de harcèlement, d’après les chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Un fléau qui peut entraîner des drames, comme le suicide de la jeune Dinah en octobre dernier.
Des victimes parfois poussées au suicide
Alors pour en finir, la proposition de loi portée par le député Erwan Balanant (MoDem) vient créer un délit spécifique de harcèlement scolaire dans le Code pénal.
"C’est également un moyen de pression sur les auteurs et d’une certaine façon de dire aux parents que ce n’est pas inutile de porter plainte, car il y a un véritable article de loi derrière", réagit au micro de Sputnik Laurent Boyet, président et fondateur de l’association Les papillons.
Il estime que "c’est une reconnaissance pour les victimes", car "malheureusement, le harcèlement peut conduire au suicide de la victime".
Le nouveau délit est délit punissable de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende s’il entraîne une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours ou n’en entraîne aucune. En outre, la sanction sera plus lourde dans le cas où l’ITT dépasse huit jours, et pourra aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende si la victime s’est suicidée ou a tenté de le faire. "C’est donc incontestablement une avancée", se réjouit Laurent Boyet.
Un texte répressif?
Une joie que tout le monde ne partage pas. Ainsi, la députée LFI Sabine Rubin a-t-elle affirmé que le texte participait d’un "plan de communication" et d’une "surenchère pénale". "Le réflexe répressif vis-à-vis d’enfants n’est pas la bonne voie", a pour sa part fait valoir Elsa Faucillon, député du PCF. "Nous ne sommes pas favorables à une criminalisation des mineurs et à une augmentation de la répression", a également soutenu la parlementaire PS Michèle Victor.
"On aurait pu créer une circonstance aggravante", a d’ailleurs reconnu Erwan Balanant. "Il ne s’agit pas d’envoyer les enfants en prison. La justice des mineurs existe. Elle prend en compte l’âge et le discernement de l’auteur. Mais le Code pénal édicte le système de valeurs d’une société", s’est cependant défendu le député à l’initiative de la proposition.
Par ailleurs, certaines associations telles que le Centre de ressources et d’études systémiques contre les intimidations scolaires (Resis) ou Marion la main tendue, ont également jugé le texte trop répressif: "Aucune loi pénalisant les élèves harceleurs n’aura le moindre effet sur l’existence des effets de groupe" qui, bien souvent, sont à l’origine de ces actes.
Mettre la pression sur les parents des harceleurs
Des arguments que rejette le président de l’association Les Papillons. S’il partage le constat concernant les mécanismes du harcèlement scolaire, il affirme néanmoins que pour "briser tout ça, il faut qu’à un moment ou un autre, les auteurs n’aient plus ce sentiment d’impunité". D’autant plus que "l’Éducation nationale a certes une démarche volontaire en essayant d’être au courant des faits de harcèlement, mais lorsqu’ils le sont, il y a très rarement des décisions qui sont prises contre le harceleur", avance Laurent Boyet.
"Désormais, dans le cas où il y aurait une absence de décision de l’établissement scolaire, il peut y avoir la menace des parents: soit vous faites en sorte que ça s’arrête, soit il y a un dépôt de plainte", prévient Laurent Boyet.
La création de ce nouveau délit semble pourtant passer à côté de la question cruciale de la sensibilisation des élèves, ainsi que des moyens humains à déployer dans les écoles pour détecter les signaux faibles. "Si on veut vraiment agir correctement, il faut qu’il y ait tous les aspects et à un moment ou un autre, qu’il y ait l’aspect pénal", rétorque le responsable associatif.
"Malgré tous les beaux discours, quand je vois que l’on continue à nous opposer autant de difficultés pour mettre des boîtes aux lettres “Papillons” dans les écoles [afin de recueillir des témoignages de harcèlement, ndlr], je me dis que ce n’est pas encore gagné, il y a beaucoup de choses à faire", conclut le responsable associatif.