"Finalement, Joe Biden n’est pas moins protectionniste que Donald Trump. Nous sommes devant le même genre de mentalité de repli sur soi", laisse tomber Miguel Ouellette. Directeur des opérations de l’Institut économique de Montréal, il déplore la décision des Démocrates de doubler les droits de douane imposés sur l’importation de bois d’œuvre canadien:
"La décision peut faire mal aux entreprises canadiennes mais elle aura aussi un impact important sur les consommateurs américains, dans un contexte où la pénurie de certains matériaux de construction n’est pas terminée. La mesure pourrait contribuer à faire augmenter encore plus l’inflation et le prix des maisons aux États-Unis", avertit l’économiste à notre micro.
Les 1er et 2 décembre, une délégation canadienne tentait sa chance dans la capitale américaine pour convaincre Washington de renoncer à cette décision issue du Buy American Act. Une nouvelle mesure incitant les Américains à acheter des produits made in USA. Le bilan de la rencontre n’a pas encore été divulgué.
Le libre-échange en Amérique du Nord: mythe ou réalité?
Ottawa s’oppose aussi à une autre démarche de Washington. À savoir: accorder aux Américains un crédit d’impôt sur les autos électriques fabriquées au pays de l’Oncle Sam. La compétitivité des véhicules made in Canada, certes, en pâtirait. "Une violation du nouvel accord de libre-échange nord-américain": la ministre des Finances du Canada et vice-Première ministre Chrystia Freeland ne cache pas son amertume. Mais peut-on encore parler de libre-échange?
Les dirigeants des États-Unis, du Canada et du Mexique viennent pourtant de prendre part au Sommet des "trois amigos" à Washington qui a réuni les trois pays signataires de cet important accord. Du moins, pour Miguel Ouellette, le libre-échange est-il de plus en plus malmené sur le continent:
"Il y a une relation toxique entre le Canada et les États-Unis sur le bois d’œuvre. Ce n’est pas la première fois qu’il y a un conflit. […] Les premiers accords de libre-échange entre le Canada et les États-Unis tenaient sur quelques pages. Maintenant, nous avons des accords de plusieurs centaines de pages tellement il y a d’exceptions!", précise le directeur des opérations de l’Institut économique de Montréal.
Les droits de douane sur le bois canadien passeront donc prochainement de 8,99% à 17,9%. Le 25 novembre dernier, sans fournir plus de détails, Chrystia Freeland a menacé Washington de représailles si la décision sur le bois n’était pas révoquée: "Nous indiquons également très, très clairement que le Canada est prêt à riposter, à défendre l’intérêt national", a-t-elle déclaré à la Chambre des communes en répondant à des questions de l’opposition.
En 2015, les exportations de bois d’œuvre aux États-Unis rapportaient 8,5 milliards de dollars à l’économie canadienne. Cette même année, ces retombées économiques représentaient plus de 24.000 emplois directs au pays, selon les informations de Radio-Canada.
Ottawa mal placé pour faire la leçon à Washington?
Le Canada devrait toutefois "se regarder dans le miroir" avant de déplorer les mesures protectionnistes de son voisin, souligne Miguel Ouellette, car le pays ne serait pas lui-même, en interne, un exemple en la matière:
"Au Canada, le commerce entre les provinces n’est pas vraiment régi par le libre-échange malgré le fait qu’il y ait un accord là-dessus. Il existe toutes sortes d’exceptions, notamment sur la vente d’alcool, et le Québec en est le champion toutes catégories. […] Avant de donner des leçons aux Américains, le Canada devrait faire son examen de conscience."
Le premier conflit entre le Canada et les États-Unis sur le bois d’œuvre remonte à 1982. L’industrie du bois américaine s’était alors adressée aux tribunaux pour dénoncer l’importation massive de bois canadien à des prix avantageux sur le sol américain. Depuis, le litige revient régulièrement affecter les bonnes relations entre les deux voisins anglo-saxons.