"Cette décision m’apparaît vraiment disproportionnée. Il faut proposer des mesures alternatives", tranche Ndeye Dieynaba Ndiaye. Professeur de droit des migrations à l’université du Québec à Montréal, Mme Ndiaye estime contraire au droit la décision d’Ottawa d’empêcher les ressortissants étrangers de quitter le territoire non vaccinés. "Moi, je suis doublement vaccinée, mais je comprends que certaines personnes puissent encore être en réflexion, surtout qu’on promettait un retour de la vie normale avec le vaccin", poursuit-elle.
Droit de sortie aboli: des "mesures alternatives" pour les non-vaccinés?
Début octobre, Ottawa confirmait que ses aéroports seraient interdits aux non-vaccinés à partir d’aujourd’hui, 30 novembre 2021. Le 19 novembre dernier, cette date butoir avait été repoussée au 28 février 2022 pour les étrangers. Un délai supplémentaire pour quitter le pays par les airs jugé insuffisant par Ndeye Dieynaba Ndiaye, qui prône plutôt un "compromis" et l’imposition de mesures préventives, comme le test PCR obligatoire, au lieu de l’obligation vaccinale. Quant aux citoyens canadiens, aucun d’eux ne peut désormais monter à bord d’un avion, ni même d’un train, s’il n’a pas relevé sa manche au moins deux fois.
"Le droit de circulation est fondamental. […] Pour les étrangers, pourquoi ne pas simplement imposer les mesures mises en place avant le début de la vaccination? On ne connaît pas le nombre d’étrangers concernés, car il n’existe pas de chiffre rendu public là-dessus, mais leur interdire de quitter le territoire pourrait créer une situation inédite", avertit la directrice de l’Observatoire sur les migrations internationales, les réfugiés, les apatrides et l’asile (OMIRAS).
Pour Ndeye Dieynaba Ndiaye, non seulement la décision pourrait contrevenir à la Charte des droits et libertés du Canada, document intégré à la Constitution, mais, quand bien même des tribunaux du pays la valideraient-ils, elle dérogerait au droit international.
Des engagements internationaux déchirés par le Canada?
En effet, en droit canadien, cette mesure violerait le "principe de proportionnalité" selon lequel les droits et libertés peuvent être, dans des circonstances exceptionnelles, restreints dans "des limites raisonnables". À l’échelle internationale, la décision romprait les engagements pris par le Canada lors de la signature du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 1976. La mesure contredit "un bon nombre de textes internationaux qui garantissent le droit de quitter n’importe quel pays", précise Mme Ndiaye. Parmi ces textes: la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
"Les ressortissants étrangers ne peuvent pas représenter de risque de transmission pour le Canada, car c’est dans leur propre pays qu’ils retournent. […] L’objectif du Canada de protéger la population est légitime en temps de pandémie, mais l’atteinte à la liberté de circuler doit s’appuyer sur des justifications solides et exceptionnelles. Est-ce vraiment la seule décision pouvant être prise pour atteindre les objectifs du gouvernement?" demande le professeur de droit.
Durant la dernière campagne électorale ayant mené à sa réélection, le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, avait laissé entendre que la mesure ne s’appliquerait qu’aux trajets effectués par voie ferrée ou aérienne à l’intérieur du pays, mais sa portée a été étendue début octobre.
"Un test moléculaire de dépistage du Covid-19 valide ne sera plus accepté comme solution de rechange à la vaccination, à moins que vous ne soyez admissible à l’une des exemptions limitées", indique maintenant le gouvernement canadien sur son site officiel.
Par ailleurs, Ottawa vient d’élargir la liste de vaccins acceptés pour les gens qui entrent au pays pour y inclure les sérums Sinopharm, Sinovac (tous les deux chinois) et Covaxin (indien). Le russe Spoutnik V n’a toujours pas reçu l’agrément des autorités canadiennes.
Le 29 janvier 2021, Justin Trudeau avait assuré que moins de 2% des cas de Covid-19 étaient liés "à des Canadiens qui reviennent au pays", ce qui ne l’avait pas empêché d’affirmer: "Même un cas, c'est un cas de trop."