Soldats français au Burkina Faso: "La Françafrique est finie, elle compte ses derniers jours"
Dans un entretien à Sputnik, le Dr Daouda Kinda analyse la symbolique des manifestations ayant entravé le passage d’un convoi militaire de la force Barkhane au Burkina Faso et au Niger qui se dirigeait vers la ville de Gao, au Mali. Pour lui, les peuples africains ne veulent plus de la présence française perçue comme colonialiste.
SputnikParti le 14 novembre du port d’Abidjan en Côte d’Ivoire, un convoi militaire de la force Barkhane formé d’une centaine de véhicules, transportant des ravitaillements au profit de la base militaire française de Gao, dans le nord du Mali, a été violemment attaqué par des manifestants au Burkina Faso puis au Niger, retardant son arrivée d’une semaine. En effet, le convoi, parvenu à destination le 28 novembre, a d’abord été arrêté le 25 novembre à Kaya (Burkina Faso), puis le 27 novembre à Téra (Niger), où il a subi les assauts de manifestants très violents hostiles à la présence française. L’intervention de la gendarmerie nigérienne a fait deux morts et 18 blessés.
Que signifie cette mobilisation populaire contre ce convoi français? Pourquoi a-t-il été déplacé vers la base de Gao, dans le nord Mali? Quels enjeux se cachent derrière ces évènements, au moment où la France met fin à l’opération Barkhane?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Daouda Kinda, expert malien en sécurité internationale, spécialiste du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Pour lui, "cette révolte des peuples de la région sahélo-subsaharienne, qui ont scandé +Armée française dégage+ ou +Libérez le Sahel+, marque un tournant dans la relation avec la France encore considérée comme une puissance coloniale".
"Une stratégie cacophonique"
"Ce convoi a été d’abord arrêté à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou. Mais c’est à Kaya où il y a eu le plus de manifestants, entre 5.000 à 6.000. Après le retrait des forces françaises des villes de Tessalit, de Tombouctou et de Kidal, Gao est devenue la base stratégique de la France au Mali", expose le Dr Kinda.
Et d’ajouter que "le mouvement de ce convoi relève d’une stratégie cacophonique de la France, qui au départ a créé la force G5 Sahel pour soutenir les pays de la région dans la lutte antiterroriste et s’assurer une présence militaire forte. Or la force G5 Sahel est mort-née à cause du manque de financements, d’équipements militaires et de formation des armées locales, restées faibles et inefficaces face aux hordes terroristes. Ainsi, sans vision stratégique, le G5 Sahel était dès le départ un projet sans avenir".
"Dans ce contexte, l’armée française, qui s’est retirée deTessalit, Tombouctou et Kidal, n’arrive pas à trouver des solutions pour ravitailler sa base de Gao qui reste complètement à découvert face aux organisations terroristes qui sévissent dans le nord du Mali. Ainsi, pour continuer à soutenir la base de Gao, l’armée française a été obligée d’acheminer de l’aide de Côte d’Ivoire qui se trouve à plus de 2.000 kilomètres", affirme l’expert.
Quid des enjeux géopolitiques et géostratégiques?
Durant 20 ans, les États-Unis ont entraîné leurs alliés, notamment au sein de l’Otan, dans les conflits en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, ont quitté Kaboul, livrant la ville aux talibans* qui ont repris le contrôle du pays avec une facilité déconcertante. Les Américains n’ont pas pris en compte les intérêts et l’engagement de leurs alliés, à l’instar de la France.
Quelques semaines plus tard, les Américains ont assené à la France, à l’Union européenne et à l’Otan un coup fatal dans la région indopacifique, en les écartant d’une importante nouvelle alliance militaire et géostratégique tripartite entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, appelée AUKUS, édifiée principalement face à la Chine et la Russie. Dans le sillage de cette création, la France a perdu un contrat de construction de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle (non nucléaire), d’un montant de 55 milliards d’euros, conclu avec l’Australie en 2016.
Que décideront les États-Unis quant à leur engagement militaire au Sahel, notamment au Niger et en Afrique? Vont-ils également lâcher la France qui compte énormément sur leur aide pour continuer à soutenir l’opération Barkhane?
En septembre, après une tournée africaine l’ayant conduit au Bénin, au Togo, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Mali, le commandant d’AFRICOM (Commandement des États-Unis pour l’Afrique), le général Stephen Townsend, s’est rendu en Algérie dans le cadre d’une visite officielle. Il a été reçu par le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chanegriha, puis par le Président Abdelmadjid Tebboune.
Pour l’interlocuteur de Sputnik, "l’intensification des activités du commandant de l’AFRICOM (Commandement des États-Unis pour l’Afrique) dans les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest laisse penser que les Américains cherchent à asseoir une forte présence dans ces régions au détriment de la France pour faire face à la Chine et à la Russie, dont la présence prend de plus en plus de poids. Ainsi, le convoi d’une centaine de véhicules déplacés par la force Barkhane vise également à impressionner les Américains quant aux capacités logistiques de l’armée française en Afrique, dans le but de s’assurer encore une place sur le continent".
En conclusion
Enfin, Daouda Kinda estime que "les peuples africains sont conscients du rôle de la France, aussi bien sur le plan militaire qu’économique, linguistique que culturel, dans le maintien de leur pays dans le sous-développement et sont en train de se réveiller et de coordonner spontanément leurs actions pour demander à leurs gouvernants de couper les ponts avec l’Hexagone et de se diriger vers d’autres partenaires plus sérieux, plus compétents et plus fiables".
"La Françafrique est finie, elle compte ses derniers jours", conclut-il.
*Organisation sous sanctions de l'Onu pour activités terroristes