Coupure d’Internet par les autorités: les Burkinabè ne décolèrent pas

Au Burkina Faso, le gouvernement vient de rétablir la connexion Internet après huit jours d’interruption pour des "raisons de défense et de sécurité". Plusieurs voix s’élèvent dans le pays pour exiger, aux autorités mais aussi aux opérateurs téléphoniques, réparation pour les préjudices et pertes financières subis.
Sputnik

"La connexion Internet a été rétablie, mais les dommages et préjudices que son interruption ont occasionnés doivent être réparés par qui de droit, en l’occurrence les trois sociétés de téléphonie du pays", a déclaré Gilbert Hien, vice-président de la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB), interrogé par Sputnik.

L’avocat de la Ligue, a précisé Gilbert Hien, s’est déjà saisi du dossier. "Quand bien même ces compagnies ont reçu des réquisitions de la part du gouvernement leur demandant de suspendre leurs prestations, elles ont manqué à leurs obligations professionnelles qui consistaient à informer leurs clients, afin que ceux-ci prennent au moins leurs dispositions".

"De nombreux Burkinabè ont perdu de l’argent dans cette histoire, n’ayant pas pu exécuter certains marchés dans des délais bien précis. Et la faute revient entièrement aux opérateurs, car ces citoyens ont payé d’avance pour des services qu’ils n’ont finalement pas obtenus. Nous allons donc les poursuivre en justice pour les contraindre à réparer leur faute", a-t-il poursuivi.

L’indice netblocks évalue à plus de 20,4 milliards de francs CFA (31 millions d’euros) les pertes économiques occasionnées par les huit jours d’interruption de l’Internet mobile.
Pour Cheikh Fall, président de Africtivistes, la ligue africaine des blogueurs et web-activistes pour la démocratie, ces actions en justice sont légitimes.

"Les opérateurs téléphoniques ont un contrat avec leurs utilisateurs qui achètent une connexion Internet et qui s’attendent à ce que ce service leur soit assuré en continu. Il est donc normal que des organisations de consommateurs ou de simples citoyens burkinabè s’organisent pour porter plainte contre ces opérateurs qui ont cédé à la pression des autorités", a-t-il répondu, interrogé par Sputnik.

"Une atteinte grave à la liberté d’expression"

C'est le 20 novembre dernier que les autorités ont décidé de suspendre la connexion Internet mobile, qui représente 70% du trafic national. Cette décision est survenue alors qu’un convoi logistique de l’armée française était bloqué depuis plusieurs jours sur le territoire burkinabè par des milliers de manifestants déterminés qui protestaient contre la présence militaire de la France au Sahel.
Mais le gouvernement avait indiqué que la suspension n’était pas liée à cet événement, évoquant plutôt des "raisons de défense et de sécurité des personnes et des biens", consécutives à l’attaque du détachement de gendarmerie d’Inata, dans le nord du pays. Cette offensiveperpétrée le 14 novembre par des dizaines d’hommes armés et dont le bilan officiel s'élève à 53 morts (49 gendarmes et quatre civils), est à ce jour la plus meurtrière pour les forces de défense et de sécurité depuis l’expansion djihadiste au Burkina Faso depuis octobre 2015.
Ce n’est pas la première fois que les autorités coupent l’accès à Internet au Burkina Faso. En effet, selon Cheikh Fall, cela est déjà arrivé lors des manifestations d’octobre 2014 qui ont débouché sur la chute de Blaise Compaoré ou encore lors du putsch manqué de 2015. Mais ces coupures avaient toutes été brèves, sans commune mesure avec cette récente interruption – la première enregistrée depuis l’accession au pouvoir du Président Roch Marc Christian Kaboré en décembre 2015 – qui aura duré du 20 au 28 novembre.
Cheick Fall déplore "ces pratiques qui constituent une atteinte grave à la liberté d’expression et à la démocratie, devenues hélas courantes dans certains des pays ouest-africains".

"Internet n’est depuis longtemps plus un outil réservé à des spécialistes ou informaticiens, il est aujourd’hui un outil de développement économique, d’interconnexion, de communication, de travail, d’accès à l’information et au savoir. C'est une ressource qui doit être accessible à tous comme le doit être l’eau ou l’électricité. Aucun pays n’a donc le droit de couper brutalement l’accès à cette ressource sous le prisme de la sécurité ou de la défense nationale. Et même là encore, il aurait été beaucoup plus correct pour les autorités d’informer préalablement les populations", a-t-il déclaré.

Pour de nombreux observateurs, cette suspension inédite d’Internet pourrait être suivie par de nouvelles autres, les tensions sociopolitiques sur fond d’insécurité liée à la menace terroriste demeurant très vives dans le pays.
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