Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’émergence de la théorie du management aux États-Unis, inspirée du mode d’organisation et de gestion ayant soutenu l’effort de guerre, une littérature très abondante sur la motivation en entreprise, aussi bien du dirigeant que de l’employé, est apparue.
Quasiment toutes les théories ayant traité ce sujet s’articulent autour de la notion d’estime de soi, de relations et d’influences supérieur-subordonné, de jeux de pouvoir et de contre-pouvoir auxquels se livrent les dirigeants, de l’équilibre à trouver entre valoriser ses subordonnés, se valoriser soi-même et valoriser son organisation.
Dans ce 23e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, assure à Sputnik que "l’ensemble des écrits sur la théorie de la motivation et les relations supérieur-subordonné montrent, ne serait-ce qu’indirectement, la persistance d’un fossé important entre les entreprises et leurs dirigeants ou ouvriers".
Comment faire accepter l’autorité?
Invariablement il existe une certaine antinomie fondamentale entre, d’un côté, intérêts et objectifs de l’entreprise et, de l’autre, intérêts et objectifs des individus, dont notamment les employés. Ainsi, comment dans un contexte fondamentalement marqué par l’appât du gain et les intérêts égoïstes, comment créer une symbiose entre les dirigeants et les employés, d’un côté, et entre les dirigeants et l’organisation, de l’autre, sans s’exposer à des accusations de manquements envers la direction?
"Les théoriciens néolibéraux de la motivation estiment en général que rendre les employés heureux équivaudrait à priver les propriétaires, dirigeants, actionnaires… de plus de gains", expose le Pr Aktouf.
En réalité, "pour qu’une autorité soit réellement acceptée et reconnue par ceux auxquels elle s’adresse, il faudrait qu’il y ait des conditions de transparence et d’équité ainsi que des rapports de travail très près du type informel et égalitaire". Dans le même sens, il ajoute qu’"au lieu de poser le problème des circonstances qui peuvent rendre une telle adhésion possible, les auteurs s’attachent traditionnellement à discuter des nuances entre le fait d’être un leader ou un gestionnaire, centré sur l’individu ou sur la tâche, etc.".
Pour lui, "l’adhésion est impossible sans partage des gains et des responsabilités, sans une certaine tolérance aux revendications, une certaine déviance souvent confondue avec l’indiscipline et un certain désordre créatif".
Les antihéros, les meilleurs dirigeants d’entreprises?
Contrairement aux théories managériales néolibérales qui "présentent les dirigeants comme une sorte de héros doté de pouvoirs surhumains, c’est bien plus d’antihéros dont a besoin l’entreprise", explique l’interlocuteur de Sputnik.
"Des dirigeants capables d’avoir l’humilité de s’effacer derrière les employés, joignables à tout moment, susceptibles de se laisser remettre en question, proches de leurs employés et mêlés à eux, aussi soucieux d’eux et de la compagnie que de leurs propres intérêts ou de celui des actionnaires", détaille-t-il.
S’il y a une chose sur laquelle il faut insister, "c’est que le gestionnaire-dirigeant d’aujourd’hui et de demain a beaucoup plus à gagner du côté des théories prônant la culture de collaboration par la mise en place de conditions d’adhésion et d’appropriation et à travers l’ouverture, la disponibilité, la concertation, le partage et la générosité", conclut-il.