Vaincu, mais pas dompté. Telle est la réalité du mouvement du 23 mars, M23 en sigle, qui fait à nouveau parler de lui en ce mois de novembre. Après sa défaite militaire face aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) soutenues par les Casques bleus de la Monusco (Mission des Nations unies en RDC), en 2013, on croyait pourtant que son sort avait été définitivement scellé. Il n’en est rien, si l’on en croit les discussions qui se tiennent toujours au plus sommet de l’État congolais sur l’avenir de cet ancien mouvement rebelle. Ces discussions ont repris depuis l’attaque armée menée dans l’est de la RDC dans la nuit du 8 novembre 2021 par des hommes soupçonnés d’appartenir à ce groupe rebelle soutenu par le Rwanda et qui a longtemps sévi au Nord-Kivu entre 2012 et 2013. Selon une source de la présidence congolaise contactée par l’auteur de ces lignes, Kinshasa entend "trouver une solution définitive au problème que représente le M23". Raison pour laquelle le pouvoir congolais a engagé des discussions avec les membres de ce mouvement et les partenaires régionaux afin de "trouver une solution qui fasse l’affaire de tout le monde", est-il souligné.
Une feuille de route qui n’a jamais été suivie d’effet
Il faut dire que ce ne sont pas les premières discussions du genre entre le gouvernement congolais et l’ancien groupe rebelle. Depuis 2013, Kinshasa et le M23 ont eu à négocier à plusieurs reprises dans le cadre d’un accord censé sceller définitivement la paix. Les dernières discussions remontent à 2020, et le magazine Jeune Afrique vient de révéler les détails de certains engagements pris par le pouvoir congolais vis-à-vis du M23. Parmi ces engagements, il y a la suspension des mandats d’arrêt contre les principaux leaders de l’ancien groupe rebelle, la libération des prisonniers pour faits politiques et insurrectionnels, la réintégration d’ex-M23 éligibles au sein des FARDC, etc. Pour l’heure, le gouvernement congolais n’a pas encore mis à exécution nombre de ces engagements, si ce ne sont tous. Ceci expliquerait-il l’attaque menée dans la nuit du 8 au 9 novembre par des hommes armés soupçonnés d’appartenir au M23 dans les villages de Tshanzu et Runyoni, situés dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu, près de la frontière avec l'Ouganda et le Rwanda?
Une attaque survenue pendant l’état de siège
Bien que le M23 ait réfuté toute implication dans cette attaque, le lieutenant-colonel Muhindo Luanzo, assistant de l’administrateur du territoire de Rutshuru, a imputé l’attaque aux combattants de l’ancienne rébellion, dont les responsables ne cessent de se plaindre de la lenteur de la mise en œuvre de l’accord de paix signé avec les autorités congolaises.
Fait pour le moins surprenant: les attaques imputées au M23 ont eu lieu au moment même où le chef d’état-major des FARDC, le général Célestin Mbala, était en tournée dans l’est de la RDC pour évaluer l’état de siège décrété au mois de mai par les autorités congolaises dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu et que les FARDC y sont déployées de manière conséquente pour juguler les activités des groupes armés qui pullulent dans la région. Une telle audace interroge aussi bien sur les objectifs des assaillants que sur la position des autorités congolaises, qui ont fait montre d’une certaine mollesse dans la gestion de cette mini-crise.
Au regard des discussions liées à la démobilisation des combattants du M23 et à la lenteur dans la mise en œuvre de certaines recommandations des accords de paix les concernant, il y a des raisons de croire que les attaques menées le 8 novembre visaient, entre autres, à forcer le gouvernement congolais à accélérer les discussions. L’une des exigences de l’ancienne rébellion est l’amnistie de certains de ses leaders, dont la plupart sont sous le coup de mandats d’arrêt.
Par-delà le M23, le Rwanda
Au-delà de l’enjeu relatif à l’amnistie de certains membres du M23, l’attaque menée dans l’est congolais par les combattants de ce mouvement soulève l’éternelle question de l’insécurité entretenue par le Rwanda dans le Kivu et son influence jamais démentie dans cette partie de la RDC.
En effet, c’est un secret de polichinelle que le M23 est une fabrication du Rwanda qui entendait se servir de ce mouvement pour faire triompher ses desiderata dans l’est congolais. Lors de son intervention devant la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, le chef des enquêteurs du Groupe d’expert de l’Onu, Steve Hedge, a été très clair quant à la responsabilité de Kigali dans la conception, la création, l’équipement et le commandement du M23 en vue de contrôler une partie du Kivu. La défaite du groupe rebelle aurait-elle mis fin aux velléités du pays des mille collines dans la partie orientale du Congo?
On peut en douter. Le fait que le chef d’état-major des FARDC, le général Célestin Mbala, se soit rendu au Rwanda pour parler de la question sécuritaire avec son homologue rwandais, le général Jean-Bosco Kazura, au lendemain de l’attaque du M23, témoigne de l’influence que Kigali exerce encore sur ce mouvement armé, dont les combattants se seraient retranchés dans le parc des Virunga, dans un triangle entre le Rwanda, l’Ouganda et la RDC. Pourrait-on postuler que ces attaques ont été encouragées par le Rwanda en vue de pousser le gouvernement congolais à acquiescer aux desiderata du M23 qui, faut-il le souligner, ont été inspirés par son parrain rwandais? Ce stratagème, en tout cas, qui consiste à faire parler les armes pour obtenir des gains sur le terrain politique et économique, a été utilisé à maintes reprises par le Rwanda via les rébellions qu’il a créées et entretenues au Kivu, à l’instar du RCD-Goma et du CND, dont la dislocation a donné naissance au M23.
Même si les relations entre la RDC et le Rwanda semblent être au beau fixe depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, et quand bien même les intérêts du Rwanda en RDC ne semblent pas être menacés depuis, tout laisse penser que Paul Kagame ne va pas renoncer de sitôt à une stratégie qui lui a permis d’infiltrer l’armée congolaise, en plus d’étendre son influence dans une bonne partie de l’est congolais.
L’impuissance de Kinshasa
Du côté du gouvernement congolais, l’embarras est total. Bien que l’on affirme privilégier le dialogue, certaines voix n’hésitent pas à faire part de leurs frustrations. Interrogé par l’auteur de ces lignes, un membre de l’équipe présidentielle n’a pas hésité à parler "d’impuissance" de l’exécutif face au Rwanda. Cette impuissance, qui s’explique entre autres par le fait que le Rwanda ait peuplé l’armée et les services de sécurité congolais de nombreux obligés, s’accompagne d’une forme de passivité -pour ne pas dire de complicité-, qui ne cesse de surprendre l’opinion publique congolaise et régionale. À quelques reprises, des éléments des Forces rwandaises de défense (FRD) ont franchi la frontière congolaise, sans que cela suscite des réactions du côté congolais.
Au mois d’octobre dernier, c’est à peine si Kinshasa avait commenté l’incursion menée par une compagnie des FRD à Kibumba, à une trentaine de kilomètres de la ville de Goma, avant de rebrousser chemin en pillant les biens de la population. Une situation qui indispose de plus en plus au sein des FARDC, où certains officiers supérieurs reprochent au régime de Félix Tshisekedi de sacrifier la sécurité de la République sur l’autel de ses relations avec le maître du Rwanda…