L’ancien chef du renseignement américain et le fondateur de l’entreprise de sécurité privée Blackwater auraient-ils tenté d’obtenir le départ du Président vénézuélien Nicolas Maduro à l’occasion d’une négociation secrète entre Washington et Caracas?
Selon l’Associated Press, Richard Grenell, directeur par intérim de la sécurité nationale sous Donald Trump, et le fondateur de Blackwater Erik Prince auraient rencontré à Mexico un représentant du Président vénézuélien en septembre 2020.
L’objet de la réunion? Négocier la libération de l’envoyé de Maduro, l’homme d’affaires Alex Saab, emprisonné aux États-Unis, contre celle de six cadres américains de Citgo, filiale américaine de l’entreprise pétrolière vénézuélienne, détenus à Caracas, et deux anciens bérets verts américains emprisonnés au Venezuela après une tentative de coup d’État.
L’article mentionne des SMS entre participants et organisateurs, ainsi que le témoignage de David Rivera, ancien membre du Congrès américain, qui affirme avoir aidé à organiser les pourparlers qui auraient eu lieu à l’hôtel Westin de Mexico. D’après lui, les discussions auraient finalement échoué parce que Grenell aurait exigé un plan de départ pour Maduro en préalable à tout accord.
Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et journaliste spécialiste de l’Amérique latine, dresse le tableau des enjeux actuels entre Caracas et Washington:
"Au cœur de cette affaire, il y a les sanctions coercitives unilatérales prises par les États-Unis contre le Venezuela. Il y en a eu 450. L’objectif premier de ces sanctions était de paralyser l’industrie pétrolière vénézuélienne pour éviter qu’elle exporte son pétrole. Le deuxième objectif, c’est de bloquer l’importation de matériel classique et stratégique, et surtout d’aliments. Depuis 2016, il y a une tentative des États-Unis d’affamer la population vénézuélienne pour qu’elle se retourne contre Nicolas Maduro."
Toutefois, poursuit le journaliste, devant le blocus fait à l’alimentation, Caracas a mis en place les "CLA" (comités locaux d’approvisionnement de production) qui, à partir d’importations extérieures passant en dehors des circuits traditionnels, redistribuent la nourriture aux secteurs les plus pauvres du pays. 6 millions de familles sont ainsi nourries tous les mois.
Alex Saab était un des hommes qui organisaient ce contournement du blocus américain. Les États-Unis l’accusaient de corruption, de détournement d’aide, de blanchiment d’argent en Floride et avaient émis un avis rouge d’Interpol contre lui. Il a été arrêté à l’occasion d’un ravitaillement en carburant au Cap-Vert lors d’une escale entre le Venezuela et l’Iran, avant d’être extradé vers les États-Unis.
Maurice Lemoine qualifie l’interpellation d’Alex Saab au Cap-Vert de "kidnapping" puisque le mandat d’arrêt pour ce proche de Maduro "est arrivé le lendemain":
"Si Saab est aujourd’hui entre les mains de la justice américaine, c’est pour lui faire expliquer comment le gouvernement vénézuélien a réussi à contourner le blocus américain et donc à résister à une tentative de changement de régime."
Presque en même temps, le Venezuela a envoyé en prison des dirigeants de Citgo qui étaient auparavant assignés à résidence. Pour le journaliste, c’est une des conséquences de cette interpellation:
"Lorsque Alex Saab a été arrêté et kidnappé au Cap-Vert, le gouvernement vénézuélien, en guise de rétorsion, a remis en prison ces six citoyens américano-vénézuéliens de Citgo, de sorte que les États-Unis sont en train de négocier leur libération. On peut imaginer que la logique serait un échange entre eux et Alex Saab."