10 milliards de dollars. C'est ce que la société mère de Facebook, rebaptisée "Meta", prévoit de dépenser pour mettre sur les rails le Metaverse, une réalité virtuelle alternative, dans le cadre de son programme "Facebook Reality Labs".
Qu'est-ce qui attend vraiment ceux qui décident de se lancer dans le Metaverse de Zuckerberg? Des critiques évoquent la collecte de données, utilisées à des fins de ciblage par des partis politiques ou des entreprises clientes de Facebook. Antoine Lefébure, historien des médias et auteur du livre L'Affaire Snowden: comment les États-Unis espionnent le monde (Éditions La Découverte), estime que l'intérêt de ce service sera essentiellement centré sur la publicité:
"Ce service sera gratuit et les publicitaires pourront cibler mieux encore les internautes. On est dans le prévisionnel là, ce qui vaut cher, c'est de vendre ce que les gens voudront faire."
Alors que Mark Zuckergerg a annoncé qu'il renonçait à utiliser sur Facebook la technologie de reconnaissance faciale, qui permet d'identifier les utilisateurs dans les photos publiées sur le site, de nombreux experts soulignent que la formulation de l'annonce laisse entendre que la société pourrait décider de l'employeur dans d'autres projets.
Des lanceurs d'alerte, à l'instar de l'ancienne salariée du groupe Frances Haugen, auditionnée la semaine dernière devant une commission de l'Assemblée nationale, ont déjà dénoncé le fait que l'entreprise manipulait les utilisateurs de Facebook par la censure et l'orientation des informations et des opinions politiques qui leur sont présentées. Antoine Lefébure évoque les possibilités de surveillance du Metaverse :
"C'est une capacité de surveillance énorme. Le système NSA tel qu'il a été dit par Snowden est un peu en perte de vitesse parce qu'il a été démasqué –on en sait trop dessus. Le Metaverse, c'est la nouvelle génération."
Difficile d'éviter l'analogie avec la "matrice" popularisée par le film de science-fiction Matrix, sorti en 1999. Mais pour reprendre un célèbre concept de l'œuvre cinématographique, combien d'utilisateurs seraient réellement prêts à vivre dans le monde fantastique de la "pilule bleue" créé, géré et manipulé par Zuckerberg et ses collègues? Quel impact l'entrée d'un utilisateur dans cet univers virtuel pourrait-elle avoir sur sa vie réelle? En effet, le Metaverse regroupera les actifs existants de la société, notamment Instagram, WhatsApp et Oculus Virtual Reality. Antoine Lefébure estime que "ce flicage généralisé peut devenir dangereux":
"Ce qui est dangereux, c'est le libre arbitre, la possibilité de comprendre et décider soi-même. C'est-à-dire qu'en livrant, par l'utilisation de Facebook, nos envies les plus secrètes, on va avoir des systèmes commerciaux et politiques qui vont répondre à ces envies et proposer quelque chose avant même qu'on puisse décider. C'est ça qui est dangereux puisque la partie conscience disparaît. Sans même s'en rendre compte, on livre notre conscience à des intérêts commerciaux et politiques."
Une surveillance qui pourrait avoir d'importantes conséquences pour notre personne et notre société, explique l'historien, puisque "le sens critique disparaît totalement":
"Le plus gênant, c'est la liberté d'expression. Dans la mesure où l'on a cette surveillance-là, les gens vont limiter leur capacité d'expression de manière à ne pas risquer de problèmes et une espèce d'autocensure s'installera dans tous les aspects de la vie, y compris privée, qui peut faire qu'on a société d'un immense conformisme, d'autant plus qu'avec les algorithmes de Facebook, on reste dans un univers qui correspond à ce qu'on aime, ce qui nous intéresse, ce avec quoi l'on est d'accord."