Côte d’Ivoire: le décès soudain d’une détenue nigériane au cœur d'une polémique
Le récent décès à Abidjan d’Itunu Babalola, une Nigériane de 23 ans, emprisonnée à la suite d’allégations contestées de traite d’être humain, n’en finit pas d’ébranler la Toile au Nigeria. Depuis plusieurs mois, des internautes s’étaient mobilisés pour la libération de la jeune femme, qui a toujours clamé son innocence.
SputnikDe quoi a réellement succombé Itunu Babalola le 14 novembre 2021? C’est l’une des nombreuses questions que se posent des internautes nigérians, choqués de l’annonce du décès de la détenue qui purgeait une peine de 10 ans à la prison de Bondoukou, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire.
Une vidéo d’Itunu Babalola, la veille de son décès.
Le gouvernement nigérian a annoncé qu’une autopsie serait réalisée pour le déterminer. L’ambassade du Nigeria a toutefois déjà donné quelques indications sur les circonstances du décès dans un
communiqué:
"La défunte, diagnostiquée diabétique, a été admise dans un coma diabétique dans un hôpital de Bondoukou. Cela a précipité son transfert immédiat à l'hôpital militaire d'Abidjan [420 kilomètres séparent les deux villes, ndlr]. Elle a finalement abandonné la lutte dimanche soir, après des difficultés respiratoires."
Émoi et incompréhension
Depuis l’annonce de la mort d’Itunu Babalola par David Hundeyin, le journaliste d’investigation qui, en mars dernier, avait fait connaître au grand public nigérian l’histoire de la détenue (incarcérée à l’époque depuis un an et quatre mois), indignation et colère se sont répandues sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre.
Les internautes nigérians, de même que certains hommes politiques, reprochent à leur gouvernement d’avoir fait preuve de laxisme dans le traitement du cas de leur compatriote, pire, d'être responsable de sa mort.
Cet internaute exprime sa tristesse devant cette nouvelle tragique.
Celui-ci estime qu’un simple coup de fil entre les Présidents nigérian et ivoirien aurait suffi pour éviter ce drame.
Kingsley Moghalu, candidat déclaré à la présidentielle de 2023, laisse entendre ici que la force d’un pays dans les relations internationales réside dans sa capacité à protéger ses citoyens à l’étranger.
Joint par Sputnik, David Hundeyin tient également pour responsables les autorités nigérianes qui "ont abandonné Itunu Babalola à son sort".
"Je blâme le gouvernement fédéral et en particulier Abike Dabiri-Erewa [présidente de la Commission des Nigérians de la diaspora, ndlr] qui ont exprimé leur intention d'aider Itunu à sortir de prison depuis mars, mais cela ne s’est jamais fait", a-t-il déploré.
Une affaire aux circonstances troubles
L’histoire d’Itunu Babalola, telle que décrite par ses défenseurs, s’apparente à un tragique feuilleton où semblent s’entremêler corruption, extorsion de fonds, abus de pouvoir et laxisme des autorités.
Dans un courrier adressé en mars aux autorités nigérianes et
consultable sur la newsletter de David Hundeyin, la jeune femme, qui a immigré en Côte d’Ivoire en 2018, a livré sa version des faits, où elle soutient être victime d’une machination.
Le journaliste expose à travers une série de tweets la situation de sa compatriote.
En somme, elle y raconte que s’étant rendue fin octobre 2019 au commissariat de Bondoukou pour signaler le cambriolage de l’appartement qu’elle louait, il s’est avéré que le cambrioleur présumé, un adolescent de 14 ans, était le neveu d’un officier de police. Ce dernier lui aurait alors proposé un arrangement à l’amiable qu’elle aurait décliné. Son refus de cet accord qu’elle jugeait défavorable et sa détermination à poursuivre l’affaire lui auraient valu la colère et des menaces de l’officier. Finalement, des agents de police auraient débarqué chez elle quelques jours plus tard avec une fillette, l’accusant de livrer cette enfant, parfaite inconnue, à la prostitution.
"L’officier m’a dit que si j’abandonnais l’affaire contre son neveu, il en ferait autant pour l’affaire de la fillette contre moi. Je lui ai dit: +non+", a-t-elle indiqué dans le courrier.
Elle se serait ainsi retrouvée embarquée dans une procédure judiciaire à l’issue de laquelle elle a écopé de 10 ans de prison pour trafic d’enfant.
Dans cette vidéo qu’elle avait envoyée en juillet dernier à David Hundeyin depuis la prison de Bondoukou, elle confie être à bout et menace de se suicider. Elle aurait d’ailleurs tenté de le faire à deux reprises.
Toutefois, c’est sous le pseudonyme de "Becky Paul" qu’elle est enregistrée auprès de la justice ivoirienne.
"Itunu a expliqué avoir choisi d’indiquer ce nom d’emprunt pour éviter que son véritable nom de famille ne soit mêlé à de mauvaises nouvelles qui finiraient potentiellement par parvenir aux oreilles de sa mère déjà à un âge avancé. Cette décision fut une erreur qui a compliqué encore plus la procédure", a-t-il déclaré, interrogé par Sputnik.
Les révélations de David Hundeyin avaient fait grand bruit sur la Toile, l’histoire d’Itunu Babalola ayant suscité une vague de sympathie et d’activisme, essentiellement fédérée autour du hashtag #JusticeForItunu.
La Commission des Nigérians de la diaspora qui annonçait le 15 mars 2021 l’ouverture d’une enquête sur la situation de la détenue.
La Commission des Nigérians de la diaspora, seulement quatre jours après s’être saisie de l’affaire, soit le 19 mars 2021, avait conclu à l’innocence de la jeune immigrée, la déclarant "inculpée à tort et incarcérée pour un crime qu'elle n'a pas commis".
Selon la Commission, la mort d’Itunu est un "coup tragique", qui survient au moment où sa Mission en Côte d’Ivoire avait engagé et payé les services d'un avocat pour traiter le jugement en appel d'Itunu Babalola.
"Malheureusement, Itunu est décédée subitement alors que toutes les mains étaient à l’œuvre pour demander une intervention juridique et diplomatique pour elle par le Nigeria. Sa mort n'arrêtera cependant pas l'appel devant le tribunal afin de la justifier des charges retenues contre elle", a assuré Abike Dabiri-Erewa.
De leur côté, les autorités ivoiriennes n’ont, pour l’heure, pas fait le moindre commentaire sur cette affaire. Qu'importe, certains internautes envisagent une éventuelle manifestation à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Abuja.
Cette personne suggère que les réactions des internautes passent du virtuel à une action concrète.
D’autres se proposent quant à eux d’investir les plateformes du gouvernement ivoirien pour protester.
Le 17 octobre, Abike Dabiri-Erewa a rencontré Traoré Kalilou, ambassadeur de Côte d'Ivoire au Nigeria, pour échanger sur les circonstances du décès d’Itunu Babalola et exprimer la demande du gouvernement nigérian pour qu’une autopsie complète soit réalisée.
De l’avis de certains observateurs, cette rencontre entre autorités nigérianes et ivoiriennes était nécessaire pour éviter que cette affaire n'aboutisse à une tension diplomatique entre les deux pays.