Paris, Berlin et Rome ont tapé du poing sur la table lors de la troisième Conférence internationale sur la Libye. Ils ont promis des sanctions contre tous ceux qui essayeraient de saborder ou de truquer la première élection présidentielle libyenne. Celle-ci doit se tenir le 24 décembre.
Une posture purement politique, selon Kader Abderrahim, directeur de recherche à l’Institut prospective & sécurité en Europe (IPSE). L’objectif consisterait à afficher un visage uni à quelques semaines d’un scrutin décisif pour la Libye en proie à la guerre civile depuis dix ans.
"Il s’agissait surtout pour ces puissances d’avancer leurs intérêts post-conflit pour la reconstruction du pays. Il a surtout été question de cela dans les coulisses, davantage que d’exercer des pressions sur les protagonistes pour qu’ils fassent en sorte que le scrutin ait lieu", affirme-t-il au micro de Sputnik.
En effet, la Libye dispose des plus importantes réserves de pétrole du continent africain. D’où ce vif intérêt de la communauté internationale.
Reprise de la guerre civile?
Néanmoins, le spécialiste de l’Afrique du Nord reste pessimiste quant à la tenue de ces élections cruciales. A minima, le calendrier défini ne sera pas respecté.
Pourtant le gouvernement intérimaire affiche une unité qui contraste avec la précédente division est-ouest du pays. Mais, au-delà de cette concorde de façade, "il existe des dissensions importantes entre les deux têtes de l’exécutif actuel: le chef de gouvernement et le Président par intérim", rappelle le chercheur de l’IPSE.
Le cercle présidentiel verrait d’un mauvais œil que le chef du gouvernement, qui se cantonne en principe aux affaires intérieures, ait été lui aussi invité au sommet de Paris. Un décret présidentiel promulgué le 1er novembre et consulté par Jeune Afrique rappelle ainsi que le Conseil présidentiel est le seul organe représentatif de la Libye à l’étranger.
"Le Premier ministre a limogé le ministre des Affaires étrangères en lui interdisant de voyager, alors que le Président, lui, a confirmé cette femme dans ses fonctions", rappelle notre interlocuteur.
Le 21 septembre 2021, le Parlement libyen a voté une motion de censure envers son gouvernement qui assure actuellement l'intérim. Et certaines déclarations du Premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah, laissent entendre qu’il puisse ne pas reconnaître le scrutin comme conforme aux règles. "Si le processus électoral a lieu de façon honnête, je remettrai le pouvoir aux autorités élues qui auront été choisies par le peuple libyen", a-t-il fait savoir.
Ces menaces voilées ne sont pas sans rappeler l’issue des élections de 2014 qui avaient relancé la guerre civile. En désaccord avec le résultat des élections, la Cour suprême libyenne avait alors invalidé le Parlement issu des élections et reconnu par la communauté internationale. Le pays avait alors replongé dans l’anarchie. Un scénario dramatique que Kader Abderrahim n’exclut pas dans les mois à venir. D’autant que la présence de forces étrangères est plus importante qu’en 2014.
La difficile préservation de l’équilibre des forces
Notre interlocuteur juge illusoire "d’imaginer pouvoir organiser un scrutin présidentiel dans un contexte d’occupation par des troupes étrangères. Ce qui est actuellement le cas."
"Un premier pas a été fait en effet avec l’annonce […] du retrait de 300 mercenaires" au service du camp de l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, s’est félicité Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse. À l’ouest, "il y a un certain nombre de réticences côté turc. C’est une bonne chose qu’on puisse voir: un premier retrait, ça va servir d’exemple. Les choses ont démarré", a renchéri Angela Merkel.
L’Onu dénombre 20.000 combattants étrangers sur le sol libyen, dont des mercenaires syriens introduits par la Turquie pour le compte du GNA (Gouvernement de l’accord national) et des combattants venus du Soudan pour appuyer les troupes deKhalifa Haftar. Le maréchal bénéficierait aussi, d'après des rapports médiatiques, de l’appui et des conseils d’hommes de sociétés de sécurité privées russes, dont la présence en Libye n'a pourtant jamais été confirmée par le Kremlin, ainsi que d’une aide de militaires français en matière de renseignement.
Pour le moment, les étrangers semblent décidés à rester en Libye, de peur que l’équilibre des forces, qui avait permis un cessez-le-feu en 2020, ne soit chamboulé.
"Cette conférence de Paris ne change rien", conclut, pessimiste, notre interlocuteur.