La déclaration de candidature de Seif al-Islam Kadhafi à l’élection présidentielle du 24 décembre est loin de faire l’unanimité. Le fils de Mouammar Kadhafi, fondateur de la Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, a déposé son dossier, dimanche 14 novembre, auprès de la représentation de la Haute Commission électorale (HNEC) à Sabha (800 km au sud de Tripoli). Les représentants de cette commission lui ont à cette occasion remis sa carte d’électeur. Même s’il bénéficie du soutien de plusieurs tribus, notamment dans le Fezzan, plusieurs voix se sont élevées le jour même pour exiger le rejet de sa demande.
Taher ben Gharbia, un des chefs de la milice Bourkane el-Ghadheb (volcan de la colère) a déclaré dans une vidéo que tous les membres de la famille de Mouammar Kadhafi étaient des criminels. "Seif al-Islam Kadhafi, [semble] avoir reçu sa carte électorale de Sebha ou d'autres; ce criminel ne participera jamais aux élections".
Dans la nuit de lundi à mardi, démonstration de force de miliciens dans les rues de Zenten pour dénoncer la déclaration de candidature de Seif al-Islam Kadhafi.
Le spectre du blocage
Spécialiste de la Libye, Michel Cousins, analyste et fondateur du média Libya Herald, explique à Sputnik qu’une éventuelle validation de la candidature de Seif al-Islam Kadhafi "provoquerait le blocage du processus électoral".
"Il ne pourra y avoir d’élection avec Seif al-Islam. Les milices vont s’opposer à sa candidature en bloquant le scrutin dans plusieurs localités, notamment dans l’ouest du pays où est concentré l’essentiel de l’électorat. Il y a encore de nombreuses milices et forces qui sont fidèles à la ’’révolution’’ qui a conduit à la chute de Mouamar Kadhafi. Elles ont le pouvoir d’arrêter l’élection dans certaines régions, comme à Misrata, Zaouia et une partie de Tripoli", note Michel Cousins.
Pour éviter un scénario catastrophe, la HNEC n’a d’autre choix que de "rejeter la candidature de Seif al-Islam", estime Michel Cousins. Il s’avère que plusieurs parties s’opposent également à une candidature du maréchal Haftar. Les choses pourraient se compliquer s’il décidait lui aussi de se présenter. Une éventualité écartée par Michel Cousins. "Il ne peut pas prendre le risque de se déshonorer en se présentant et en perdant le scrutin", juge-t-il. Mais le risque est bien là car Khalifa Haftar multiplie les initiatives ces derniers temps. Celle qui a fait le plus de bruit est certainement le déplacement, lundi 1er novembre, de son fils Saddam Haftar en Israël.
"De retour de Dubaï, Saddam a fait escale à Tel Aviv. Il était porteur d’un message de son père qui espérait obtenir un soutien militaire et diplomatique en contrepartie d’une reconnaissance d’Israël s’il venait à être élu. L’information avait été donnée par Haaretz qui est un média très sérieux. Les Israéliens l’ont reçu mais ils ne sont pas dupes car ils savent que son père n’a aucune chance d’accéder à la magistrature suprême. De plus, c’est un jeu dangereux car le peuple libyen est réellement anti-israélien. Je pense que c’est le dernier pays du monde arabe qui accepterait de normaliser ses relations avec l’État israélien. En fait, cette action démontre à quel point Haftar est désespéré", explique Michel Cousins.
L’œil de Washington
Selon Michel Cousins, pour que le scrutin du 24 décembre se déroule dans de bonnes conditions à travers tout le pays, il sera nécessaire "d’écarter Seif al-Islam et d’éviter que Khalifa Haftar, ou son fils, se présentent". Une mission qui semble avoir été confiée à Imad al-Sayah, président de la Haute Commission électorale (HNEC) qui "est mis sous pressions par les États-Unis". L’analyste affirme avoir constaté, depuis quelques mois, une implication active de Washington dans le dossier libyen. "On pense que la Turquie et la Russie sont les pays les plus influents en Libye. Il est vrai que les Turcs sont présents, les Russes beaucoup moins. Mais ceux qui influent réellement sur le jeu politique ce sont les Américains", ajoute Michel Cousins. "La particularité des Américains, c’est qu’ils sont acceptés par les deux principales parties, à l’Est comme à l’Ouest. Ils sont également très proches des forces les plus influentes de Misrata qui ont beaucoup travaillé avec Africom lors des combats contre Daech à Syrte", estime-t-il.
"Les Américains peuvent influer sur le processus de sélection des candidats en donnant leur avis sur la candidature de Seif al-Islam. Je suis certain qu’ils travaillent sur cette question pour trouver une solution afin de rejeter la candidature de Seif al-Islam et d’éviter qu’Haftar se présente. Il ne faut pas oublier qu’Haftar possède la nationalité américaine et qu’il est sous le coup de poursuites pour crimes de guerre par la justice de ce pays. Les autorités des États-Unis ont un levier de pression très efficace qui peut lui rendre la vie très difficile", assure M.Cousins.
Le problème en Libye c’est qu’il sera très compliqué d’avoir un chef d’État accepté par toutes les parties. Michel Cousins considère qu’"Haftar et Seif al-Islam sont les symboles de la dissension plutôt que de l’union". Il est cependant persuadé de la nécessité d’organiser ces élections générales le 24 décembre. "Il faut rester réaliste, il n’y a pas de maître en Libye. La situation en Libye ne sera pas facile après les élections. Ce scrutin va poser des problèmes, c’est une évidence. Mais il y aura beaucoup plus de problèmes si les élections ne se tiennent pas".