L’Iran bombe le torse. Les gardiens de la révolution assurent qu’ils ont contré les États-Unis qui auraient tenté de s’emparer d’un pétrolier chargé de combustible iranien. Le navire naviguait sous pavillon vietnamien en mer d’Oman. Les chaînes iraniennes ont même diffusé une vidéo où l’on voit un hélicoptère se poser sur le tanker Sothys et débarquer des hommes cagoulés et armés qui en prennent le contrôle. Peu après, une vedette rapide accoste le bâtiment, empêchant ainsi les navires américains de mettre la main dessus. On y observe l’USS Murphy et l’USS The Sullivans bloqués et ciblés par des armes lourdes.
Cette action coup de poing de la marine iranienne a néanmoins été catégoriquement démentie par le Pentagone. Son porte-parole, John Kirby, qualifie même la vidéo de "bidon". "J’ai vu les affirmations iraniennes et elles sont absolument, totalement mensongères", a-t-il déclaré à la presse avant d’ajouter qu’"il n’y a eu aucun effort de navires américains pour saisir quoi que ce soit". Washington n’a pourtant pas encore publié d’éléments à l’appui de ses allégations.
Téhéran et Washington à deux doigts d’un affrontement
Difficile donc de démêler le vrai du faux dans cette histoire. Mais une chose est sûre, l’affaire s’inscrit dans la logique iranienne "d’hostilité fondamentale contre les Américains", estime au micro de Sputnik Thierry Coville, directeur de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et spécialiste de l’Iran.
"Il y a une question stratégique sous-jacente pour l’Iran: il dépend complètement de l’exportation en contrebande de son pétrole, qui passe par pavillon étranger. Le gouvernement iranien considère également que la marine américaine n’a rien à faire dans cette région, qu’elle considère comme son pré carré."
Et l’histoire de cette présence US remonte à 1990. À la suite de la première du Golfe, Washington créait alors la cinquième flotte, chargée des forces navales au Moyen-Orient. Son quartier général est situé à Bahreïn, à seulement 220 kilomètres des côtes iraniennes.
De plus, l’US Navy a également lancé en septembre dernier une force opérationnelle, dotée de drones aériens et navals. Cette task force sera dédiée "à l’intégration rapide de systèmes sans pilote et de l’intelligence artificielle aux opérations maritimes dans la région".
Les tensions dans la région sont donc régulières entre les deux parties. Et c’est peu dire: en mai dernier, la marine américaine avait procédé à une trentaine de tirs de sommation en direction de vedettes iraniennes qui s’étaient approchées trop près de leurs bâtiments. Une escalade des tensions qui aurait bien pu se terminer par un affrontement direct. "À l’époque, Trump avait donné l’ordre de tirer sur les navires iraniens s’ils s’approchaient trop près", rappelle le spécialiste de l’Iran.
Les négociations sur le nucléaire iranien en cause
Indépendamment de cette action en mer d’Oman, l’Iran serait dans une stratégie offensive à l’égard des États-Unis. "C’est le message qu’ils font passer", précise Thierry Coville. De l’Irak à la Syrie, les intérêts de Washington seraient en effet pris pour cible par Téhéran et ses alliés. La base d’Al Tanf, au sud de la Syrie, a ainsi été visée le 20 octobre dernier par des drones ainsi que par des tirs d’artillerie, une attaque revendiquée par Téhéran. À Bagdad, ce sont trois roquettes katioucha des milices pro-iraniennes qui ont atterri le 31 octobre dans la zone verte, proche de l’ambassade américaine.
Cette série d’attaques et d’opérations viserait à montrer que le gouvernement iranien reste ferme à l’égard des États-Unis, surtout en période de négociations sur le nucléaire.
"L’opération en mer d’Oman s’inscrit dans cette logique. Le nouveau gouvernement d’Ebrahim Raïssi veut montrer la centralité de l’antiaméricanisme de son idéologie. La crainte était de voir qu’avec les négociations, il y ait un rapprochement avec Washington", estime le spécialiste de l’Iran.
D’ailleurs, Téhéran a finalement donné une date, le 29 novembre pour la reprise des négociations sur le dossier du nucléaire. Après six mois d’attente, la Russie, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie la Chine, l’Iran et indirectement les États-Unis vont tenter de revenir à l’accord de 2015.
Un accord qui serait fondamental pour le régime des mollahs. L'Iran "tient à l’accord, s’il voulait en sortir, il l’aurait déjà fait", insiste le géopolitique. Et pour cause. La condition principale de Téhéran est la levée totale des sanctions occidentales. "Raïssi a été élu pour relever l’économie iranienne", poursuit notre interlocuteur. En effet, les mesures économiques américaines sont lourdes de conséquences pour les 82 millions d’Iraniens.
Affaibli, Téhéran bombe néanmoins le torse
Les sanctions touchent essentiellement le secteur pétrolier, mais également les secteurs de l’aéronautique, de l’armement, des services financiers, des minerais. Les avoirs de certaines personnalités ou entités iraniennes sont gelés et toute transaction en dollars avec l’Iran est interdite. Le pays des mollahs a donc dû mal à attirer des investisseurs étrangers. Résultat: la monnaie iranienne s’est effondrée face aux devises étrangères, la classe moyenne se raréfie, la pauvreté progresse et toucherait plus de 25 millions d’habitants, le chômage toucherait plus d’un quart de la population.
Malgré une situation économique difficile, "l’Iran ne veut pas montrer qu’il est aux abois et qu’il arrive en position de faiblesse pour les négociations", précise Thierry Coville.
"C’est un rapport de forces totalement différent que sous l’ancien gouvernement Rohani qui, lui, privilégiait la diplomatie. Aujourd’hui, l’Iran considère que son point fort dans les négociations, c’est le développement de son programme nucléaire. Ils essayent de faire peur et d’imposer une feuille de route: “si vous ne levez pas les sanctions, on continue notre programme”."
Le gouvernement iranien est donc clair, il est uniquement question d’un retour à l’accord de 2015. Ainsi, la politique étrangère iranienne et son programme de missiles balistiques ne sont-ils pas négociables pour lui. "C’est une ligne rouge catégorique, l’Administration iranienne refuse d’en parler", conclut le spécialiste.
Qui, des États-Unis ou l’Iran, cédera le premier aux exigences de l’autre? Premier rendez-vous le 29 novembre prochain.