Mission impossible pour Paris et Washington: ramener Riyad au chevet du Liban

La France et les États-Unis soutiennent la stabilité du gouvernement libanais dans la crise diplomatique qui l’oppose aux pays du Golfe. Mais l’Arabie saoudite semble résolue à couper les ponts avec Beyrouth. Comment lui faire entendre raison?
Sputnik
Décidément, la France et le Liban sont inséparables! Certes, l’Élysée commençait à s’impatienter face à la lenteur des réformes structurelles du gouvernement libanais. Mais Paris apporte à Beyrouth un soutien de poids dans le cadre de la crise diplomatique qui l’oppose aux pays du Golfe depuis plusieurs jours. Suite à des propos du ministre de l’Information libanais Georges Cordahi sur la guerre au Yémen, la qualifiant "d’absurde", le 29 octobre, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Koweït ont renvoyé les diplomates libanais et rappelé leurs ambassadeurs au Liban. Or, c’est un problème de taille pour Beyrouth qui comptait sur les investissements en provenance du Golfe pour initier un début de sortie de crise. Le pays du Cèdre est en effet confronté à un effondrement économique et social sans précédent.
Dans le sillage de ce différend, Riyad a annoncé l’arrêt des importations en provenance du Liban. Avec cette mesure de rétorsion, Beyrouth pourrait perdre environ 10% de ses exportations. Un manque à gagner qui atteindrait les 300 millions de dollars annuels. Mais la plus grosse crainte demeure l’arrêt de l’envoi des devises étrangères de la diaspora. Près de 550.000 Libanais vivent dans le Golfe, dont 350.000en Arabie saoudite.
Crise diplomatique: le divorce est consommé entre les monarchies du Golfe et le Liban
En marge de la conférence sur le climat de l'ONU (COP26) en Écosse, le Premier ministre libanais Najib Mikati s’est entretenu le 1ernovembre avec Emmanuel Macron et plusieurs dirigeants européens. Bienveillant, le Président français a exprimé "l'adhésion de la France à la stabilité politique et économique du Liban". Un positionnement partagé par Washington. Le tandem franco-américain compte bien soutenir le Premier ministre libanais, seule véritable option contre l’implosion du pays. Cette aide semble plus que jamais nécessaire pour maintenir le cabinet Mikati sur pied.

La France en perte d’influence sur le dossier libanais

Leur parrainage sera mis à rude épreuve dans la médiation avec les pays du Golfe. Pour Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), le poids de la France a ses limites.
"Pour l’instant la médiation français n’a pas servi à grand-chose. Quel est le levier de la France face l’Arabie saoudite? À la limite, les Américains peuvent faire pression sur certains États du Golfe pour qu’ils assouplissent leurs positions… Mais, dans le fond, je ne crois pas qu’ils vont investir leur capital politique pour le Liban", estime-t-il au micro de Sputnik.
En juillet dernier, Washington et Paris avaient missionné leurs ambassadrices respectives au Liban afin de convaincre l’Arabie saoudite de revenir dans le dossier libanais. En effet, Anne Grillo et Dorothy Shea s’étaient rendues à Riyad pour infléchir la position saoudienne. Les trois pays avaient discuté "des moyens de soutenir le peuple libanais et d’aider à stabiliser l’économie".
Mais rien n’y fait, le monarchie wahhabite persiste et signe. Elle demande la démission du ministre de l’Information ainsi que celle du gouvernement Mikati. Pour le moment, Georges Cordahi refuse catégoriquement. " Nous sommes parvenus à la conclusion que traiter avec le Liban et son gouvernement actuel n’est ni productif ni utile, en raison de la domination continue du Hezbollah sur la scène politique ", a expliqué le chef de la diplomatie saoudienne Fayçal ben Farhane lors de l’interview accordée à la chaîne américaine CNBC. "Nous ne pensons pas avoir besoin d'un ambassadeur au Liban" a-t-il poursuivi. Même Washington, pourtant allié de Riyad, a jugé la réaction "démesurée" et "disproportionnée". En d’autres termes, les propos du ministre de l’Information libanais Georges Cordahi sur la guerre au Yémen auraient surtout servi de prétexte à la crise diplomatique actuelle, "c’était l’étincelle que les Saoudiens attendaient et ça dépasse de loin le cadre de cette vidéo", résume le géopolitologue.

"Le Liban est sous influence du Hezbollah"

En définitive, cette affaire révèle l’état déplorable des relations entre le golfe et le Liban. "C’est une crise plus profonde", précise Joseph Bahout. Pour la comprendre, il faut remonter à 2016, quand l’Arabie saoudite et les pays du Golfe ont placé le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. "Mais c’est surtout l’affaire de la séquestration de Saad Hariri qui a précipité le divorce", indique le spécialiste du Moyen-Orient. En voyage à Riyad sans son staff habituel, en novembre 2017, l’homme politique avait dû annoncer à la télévision saoudienne sa démission avant de rester coincé plusieurs jours dans le royaume. Ses "hôtes" jugeaient le Premier ministre trop timoré à l’encontre du puissant parti pro-iranien.
Si vis pacem, para bellum: le Hezbollah dévoile son arsenal, une posture de dissuasion?
Depuis, Riyad n’a eu de cesse de bouder le Liban et de s’automarginaliser. D’ailleurs, en avril dernier, pour faire pression sur le puissant parti chiite libanais, l’Arabie saoudite interdisait les importations de produits agricoles en provenance du pays du Cèdre. L’annonce intervenait après la découverte par les douanes saoudiennes d’une cargaison massive de Captagon, dissimulée dans des grenades (fruits).
"Est ce que les Saoudiens sont réalistes dans leur demande? Le Liban est sous influence du Hezbollah et tout le monde le sait. Mais ce n’est pas en s’y prenant comme ils le font que ça va changer, bien au contraire. C’est une erreur tactique", déplore Joseph Batout.
"C’est une impasse pour tout le monde", poursuit notre interlocuteur, notamment pour les citoyens libanais, qui "en paieront le prix". Et s’enfonceront encore un peu plus dans la crise.
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