L’auteure du roman qui avait prédit le Covid sur l’"alchimie" entre la France et la Russie
Dans une ambiance post-apocalyptique, des gens fuient Moscou où un virus mortel se propage: l’auteure du roman Vongozero, qui avait prédit le Covid et à partir duquel une série russe populaire sur Netflix a tiré son sujet, parle à Sputnik de l’"alchimie mutuelle" entre la France et la Russie et ce qu’elle a vécu quand la vraie pandémie a frappé.
SputnikUn virus mortel circule dans la capitale russe, il se répand à une vitesse effrayante. Les gens tentent de fuir Moscou avant que la pandémie ne prenne de l’ampleur. Ce n’est pas un reportage d’un journal télévisé, mais l’intrigue d'une série russe baptisée Épidémie (To the lake en version internationale). Diffusée en 2019, avant la pandémie de Covid-19, elle est basée sur le roman Vongozero de l’auteure russe Yana Vagner.
Alors que la deuxième saison de la production classée parmi les séries étrangères les plus
populaires sur Netflix et appréciée par Stephen King se prépare à être diffusée à partir du 12 novembre, Yana Vagner, qui est à l’origine de l’histoire qui est devenue si populaire, a confié à Sputnik comment le sujet était né et quels avaient été ses sentiments, tandis que son histoire prenait de l’ampleur sur fond de pandémie de Covid-19.
Pourquoi cette histoire post-apocalyptique
Le livre Vongozero de 2011 tire son titre du nom d'un lac en République de Carélie, dans le nord de la Russie, que des personnages cherchent à atteindre. L’auteure avoue qu’étant amatrice de sujets sur la fin du monde elle s’était rendue compte à un moment donné qu’il lui manquait une histoire sur les gens ordinaires qui tentent de rester en vie quand la fin du monde est arrivée.
"Il me manquait une histoire de gens comme moi, et non de héros solitaires habiles, faisant face à une catastrophe. Qui sont désorientés, effrayés et non préparés à quoi que ce soit, qui ne croient même pas, au début, que la catastrophe est réelle. Ils ont une famille, des enfants, des relations compliquées, ils ont peur de quitter leur maison et peur de rester, et bien sûr ils font erreur après erreur, et leurs chances d'être sauvés sont plutôt minces", raconte-t-elle à Sputnik.
Yana Vagner explique que pour décrire la fin du monde et l’atmosphère apocalyptique, il n’y a pas beaucoup de possibilités de scénarios: catastrophe naturelle, invasion extraterrestre ou encore des zombies, "et le fait que j'aie choisi un virus est un pur hasard", ajoute-t-elle.
Et si avec la
pandémie de Covid-19 qui a frappé le monde début 2020 le nombre de lecteurs de ce roman a connu une hausse, il ne faut pas oublier que même avant cette épidémie son roman était déjà apprécié par les amateurs du genre. Une "vibrante adaptation cinématographique, dont tout le monde a parlé, qui a même fait partie de la compétition principale de Canneseries en 2019" a déjà été réalisée.
L’écrivaine admet que cela n’a pas été facile pour elle quand les événements décrits dans son livre ont commencé à se dérouler en partie en réalité et que le monde a connu la pandémie de Covid.
"Pour être honnête, j'ai perdu l'amour envers mon livre à ce moment-là, et je n'ai jamais pu l'aimer à nouveau. Au cours des premiers mois de la pandémie, tout le monde a pensé que mentionner Vongozero et avoir un commentaire de ma part était un excellent sujet pour un article […]. Et tout ce que je pouvais dire à l'époque aurait ressemblé à une publicité coquette pour le roman. Et en faire la publicité au détriment d'une peur et d'une panique réelles n'était absolument pas quelque chose que je voulais faire, et j'ai réalisé qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire: ne rien dire", confie Yana Vagner.
La réception du roman en France
"J'ai eu beaucoup de chance avec les lecteurs français". L’auteur parle de la France avec affection. Elle se rappelle que partout elle a été accueillie chaleureusement et cordialement, et que beaucoup de Français lui ont confié qu’ils avaient soit appris le russe il y a une dizaine d’années, soit que quelqu’un de leur famille l’avait fait.
Elle raconte avoir
beaucoup voyagé en France pour des tournées de promotion - à Paris, Lyon, Bordeaux, Saint-Malo, Strasbourg, en Provence, Bourgogne, Nouvelle-Aquitaine et dans les Pyrénées.
"Ce pays est très grand et différent, mais malgré cela partout, même dans la petite [commune du Tarn, ndlr] Lavaur avec une population de 10.000 personnes, il y avait un lecteur qui me disait: +J'ai appris le russe il y a 20 ans. Ma fille apprend le russe, ma belle-fille, mon neveu+", dit-elle.
Non seulement son roman Vongozero a été bien accueilli par les lecteurs français, mais ses deux autres livres, Le Lac et le policier L'Hôtel, traduits aussi par Raphaëlle Pache, ont été publiés en France avec des tirages comparables à ceux en Russie. Qui plus est, Vongozero a été récompensé par des prix français.
"Le roman Vongozero a été finaliste du Grand Prix des lectrices de Elle et du Prix Russophonie meilleure traduction du russe vers le français en 2015. L'Hôtel est sorti en France plus tôt que chez nous [en Russie, ndlr], car la traduction a été commencée le lendemain de la fin de mon manuscrit", détaille l’interlocutrice de Sputnik.
Les lecteurs russes et français apprécient mutuellement les littératures de leurs pays, estime Yana Vagner.
"Presque tous les textes russes contemporains notables ont été traduits en français et vice versa, nous connaissons très bien et aimons la littérature française. Il me semble que nous sommes tout simplement compatibles, nous avons une sorte d'alchimie mutuelle. Et d'ailleurs, peut-être que ma traductrice française a juste traduit [mes textes, ndlr] bien mieux que je les ai écrits", sourit-elle.
La série et le livre sont deux histoires différentes
La série de huit épisodes et le livre Vongozero sont deux histoires différentes, souligne l’auteure du roman.
"Mon drame de chambre tranquille, le monologue d'une femme effrayée sur fond de monde en train de mourir, est devenu plus fort à l'écran, s'est accéléré et s'est transformé en une +road story+ dynamique et dramatique", explique l’écrivaine.
Elle fait le point sur le fait que les auteurs de romans sont rarement enthousiastes à l'égard des adaptations cinématographiques de leurs livres. Toutefois, elle dit avoir eu l’idée qu’il n’est pas possible de raconter une histoire à l’écran de la même manière que sur papier, ainsi, elle avoue avoir été prête que le film diffère du livre.
"J'ai vraiment de quoi être heureuse, le sort d'Épidémie est incroyable. Après tout, le premier film russe sur la fin du monde a été réalisé sur la base de mon livre, que j'ai écrit il y a 10 ans, la nuit, dans la cuisine d’un appartement loué", se réjouit Yana Vagner.
En ce qui concerne l’appréciation de la part de Stephen King, qui a écrit sur Twitter que la série russe est "sacrément bien", l’auteure du roman Vongozero ne cache pas sa joie de cette remarque du "roi de l'horreur".
"Il m'a suffi d'imaginer Stephen King assis dans son canapé, regardant un film basé sur mon livre, le mettant en pause de temps en temps pour aller chercher des sandwichs à la cuisine et qu’il écrit un tweet à ce sujet. Honnêtement, même ça, c'est un peu trop", raconte-t-elle.
Et après?
La deuxième saison de la série russe a été filmée et sera diffusée en novembre. Toutefois, elle n’aura rien à voir avec le deuxième livre, la suite du roman Vongozero, qui s’appelle Le Lac, estime son auteure.
"Le roman Vongozero a bien une suite, c'est une dilogie, mais comme le premier livre, Le Lac est un récit très calme, une histoire d'un petit groupe de personnes passant un terrible hiver de famine sur une île au milieu de la taïga. Mais vu le rythme adopté par les réalisateurs de la première saison de la série, […] il était clair que la deuxième saison serait une histoire entièrement distincte, sans aucun lien avec la source. Et je suppose que je suis même heureuse de ça, honnêtement. Ma relation avec Vongozero s’est terminée en 2020, j'en suis vraiment fatiguée et je ne veux pas y revenir", relate-t-elle à Sputnik.
"Je suis en train de terminer une nouvelle histoire qui m'excite et me ravit beaucoup plus", a ajouté Yana Vagner.