"Les rédacteurs de ce texte savaient pertinemment les différentes interprétations et conséquences que cela pouvait avoir. Le retrait de la mention de l’orientation sexuelle s’avère donc quelque peu lâche à mon sens", a déclaré sans ambages Arnaud Gohi, juriste et président de la Garde citoyenne, interrogé par Sputnik.
Ce responsable d’un mouvement citoyen, qui regroupe des jeunes Ivoiriens engagés, se prononçait sur le projet de loi de révision du code pénal, qui défraie la chronique depuis plusieurs jours. Et les récriminations faites au texte portaient sur une disposition particulière, qui énumère les types de discriminations, parmi lesquels figurait l’orientation sexuelle.
Confusion
Ces derniers jours, l’attention était portée en effet sur le projet d'article 226 nouveau, l’une des dispositions du code pénal faisant l’objet d’une modification. Selon ce projet d'article, "est qualifié de discrimination, toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur l’origine nationale ou ethnique, la race, [...] l’orientation sexuelle [...] qui a pour but de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans les conditions d’égalité des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique".
Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs internautes montent au créneau, voyant dans l’énumération de l’orientation sexuelle un pas fait en direction de la légalisation en bonne et due forme de l’homosexualité et partant, du mariage homosexuel.
Sur les réseaux sociaux, la question a été abondamment évoquée, au point de parfois donner lieu à toutes sortes de spéculations.
Face à la polémique, Tiémoko Assalé, l’un des députés les plus populaires du pays, a jugé bon de clarifier la situation sur son compte Facebook. Les mots "orientations sexuelles" ont été retirés et "il n'y a aucun projet de loi portant légalisation de l'homosexualité".
Si les propos du parlementaire ont rassuré plus d’un, ils n’ont pour autant pas mis fin au débat, certains Ivoiriens estimant que la question de l’homosexualité mérite désormais d’être clairement posée. C'est justement le cas d’Arnaud Gohi, qui souhaite que le sujet soit porté sur la place publique:
"Si on estime que certains Ivoiriens sont discriminés sur la base de leur orientation sexuelle, il convient de faire en sorte d’y remédier. Et cela très courageusement en posant notamment le sujet sur la place publique pour en débattre. Ainsi les uns et les autres apprécieront le bien-fondé ou non de la question. Mais ce qui est dommage en Côte d’Ivoire, c’est cette tendance des autorités à se cacher derrière une majorité au parlement pour faire passer des lois qui auraient des conséquences pour tous. Les Ivoiriens devraient davantage être associés dans la prise de ces décisions d’intérêt national", a-t-il déploré.
"La culture de l’homosexualité n’existe pas en Afrique"
Si l’homosexualité est un crime dans la plupart des pays africains, ce n’est pas le cas en Côte d’Ivoire où cette orientation sexuelle n’est pas pénalisée. Toutefois, beaucoup d'Ivoiriens semblent encore particulièrement hostiles à toute légalisation formelle (au sens de reconnaissance) éventuelle. "On ne dispose d’aucun sondage ou donnée statistique susceptible de permettre d’évaluer, sans a priori religieux, culturel et autres, la position globale des Ivoiriens sur le sujet", indique toutefois Arnaud Gohi.
De leur côté, les autorités religieuses (le christianisme et l’islam étant les deux grandes confessions religieuses), très influentes dans le pays, demeurent fermement opposées à l’homosexualité.
Du côté des autorités nationales, si la posture est plus mesurée, elle n’en demeure pas moins encore tranchée. La Côte d’Ivoire avait ainsi voté "non" en 2014 à une résolution sur la protection contre la violence et la discrimination en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre du Conseil des droits de l’homme de l’Onu. Un an plus tôt, s’exprimant sur la question du mariage gay et de l’homosexualité en général, le Président Alassane Ouattara avait laissé entendre que son pays n'agirait que conformément à ses lois et ses traditions.
Et la tradition en Côte d’Ivoire, et plus généralement en Afrique, considère que l’homosexualité n’a jamais eu un quelconque ancrage culturel, et qu'il s'agit d'une pratique "apportée" par les colons européens. Pourtant, certaines études scientifiques, comme celle du Camerounais Charles Gueboguo, tendent à démontrer l’existence, bien avant l'arrivée des colons européens, de pratiques homosexuelles chez certains peuples africains.
Interrogé par Sputnik sur ce point précis, René Allou Kouamé, professeur titulaire d’histoire à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan est très loin de partager les conclusions de ces études. Selon lui, "toute l’organisation sociale des peuples africains était intrinsèquement basée sur la perpétuation de la vie". Au point que quand un homme ne parvenait pas à avoir des enfants avec son épouse, on se tournait vers l’un de ses frères pour lui susciter une descendance.
"Certains veulent faire croire que l’homosexualité était universelle, qu’elle se retrouvait dans toutes les cultures du monde et donc en Afrique, mais ce n’est pas vrai. Cela dit, il existe toujours dans nos langues africaines un mot pour désigner une réalité sociologique précise, ce n’est pas le cas pour l’homosexualité, contrairement à ce que certains s’efforcent de faire croire au prix d’incroyables acrobaties", a-t-il soutenu.