Abus sexuels: "Aucun évêque n’a reconnu la responsabilité institutionnelle de l’Église"
À Lourdes, 120 évêques catholiques réfléchissent actuellement aux suites à donner au rapport Sauvé. Mises à l’écart, les associations des victimes de pédocriminalité craignent que les réponses de l’Église ne soient pas à la hauteur.
Sputnik"On commence à se demander s’il y a une chance que les évêques prononcent cette reconnaissance de responsabilité de l’Église, mais on est assez nombreux à penser que c’est peu probable que ça arrive."
À en croire François Devaux, victime
d'abus sexuels à l’âge de 10 ans, il ne devrait pas y avoir de nouveau miracle à Lourdes. À partir de ce 2 novembre, 120 évêques se retrouvent pour leur réunion annuelle dans la commune des Hautes-Pyrénées. Au menu notamment, le
rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église catholique de France. Ils consacreront ainsi près de la moitié de leurs travaux à "
la lutte contre les violences et les agressions sexuelles sur mineur".
"Une aberration", estime François Devaux, président de la "Parole Libérée", une association d’aide aux victimes de pédophilie, qui espérait que la semaine entière serait dédiée à cette thématique: "c’est le premier problème de l’Église. Il y a urgence dans la mesure où cette problématique, systémique, a pour conséquence de créer l’effondrement de l’Église et de la confiance qu’on peut lui porter", affirme-t-il.
Les associations de victimes écartées
En effet, les résultats de l’enquête menée par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) ont provoqué une onde de choc. Selon cette étude, 216.000 mineurs ont été,
depuis 1950, victimes de violences sexuelles, commises par "
2.900 à 3.200" hommes prêtres, diacres et religieux. Des chiffres vertigineux, probablement minorés puisqu’ils résultent d’une estimation statistique comprenant une marge de plus ou moins 50.000 personnes.
"Il serait donc pertinent qu’ils arrêtent de penser à autre chose. Ils devraient laisser un peu tomber l’écologie pour peut-être se concentrer assez sérieusement sur ce problème", fustige notre interlocuteur.
François Devaux regrette que les organisations d’aide aux victimes de pédocriminalité ne soient pas présentes durant ce travail des évêques. L’épiscopat a ainsi préféré inviter des victimes à témoigner durant l’assemblée plénière, qui se tient à huis clos.
Un choix que dénonce le président de la "Parole Libérée". Et il reproche à l’Église de n’avoir pas tout mis en œuvre pour régler la question des violences sexuelles en son sein, à l’image de l’affaire Monseigneur Pierre Pican. En septembre 2001, l’évêque du diocèse de Bayeux et Lisieux était condamné à trois mois de prison avec sursis pour ne pas avoir signalé à la justice les agissements de l’abbé René Bissey. "
Il avait d’ailleurs été félicité par le Vatican pour ne pas avoir dénoncé les faits d’abus sexuels qu’avait commis son prêtre", souligne François Devaux.
Il dénonce plusieurs manquements de l’Église, également pointés par le rapport Sauvé. "Il y a eu surtout un ensemble de négligences, de défaillances, le silence, une couverture institutionnelle qui ont présenté un caractère systémique."
Conscients de ce mutisme coupable, les évêques ont effectué ce mardi 2 novembre à Lourdes "une pause de silence en mémoire des victimes". Certains d’entre eux se sont recueillis face à la grotte où, selon la tradition catholique, la Vierge Marie est apparue à Bernadette Soubirous en 1858. Par ailleurs, un "geste mémoriel", symbolique, est prévu en direction des victimes, samedi 6 novembre.
Vers la démocratisation de l’institution de l’Église?
Mais cela ne devrait pas être suffisant pour les croyants. Selon un sondage IFOP publié fin octobre, les
deux tiers des catholiques français ne font pas confiance à l’Église sur la protection des mineurs. 76% estiment que la réaction de la hiérarchie catholique n’a pas été "
à la hauteur de ces révélations sur les violences sexuelles dans l’Église". Du côté des victimes, c’est la réponse de l’Église concernant l’indemnisation qui est particulièrement attendue.
"Aucun évêque n’a été capable de dire que l’on reconnaissait la responsabilité institutionnelle de l’Église. C’est bien de ça dont on parle. Ce n’est pas le registre de l’évangile qui est attendu, mais le registre judiciaire. C’est-à-dire que l’on indemnise parce que l’on a commis une faute et que l’on reconnaît celle-ci", abonde François Devaux.
La question de la reconnaissance de la responsabilité de l’Église est pourtant cruciale. Elle sera "au cœur de notre réflexion tout au long de la semaine", a confié lors d’une conférence Mgr Luc Crepy, évêque de Versailles.
"Lors de la dernière assemblée des évêques en mars, il y a déjà eu une affirmation très forte de cette responsabilité de l’Église, des évêques. […] Je pense qu’au terme de cette semaine, nous irons plus loin", a-t-il poursuivi.
Anticipant une possible désillusion, le collectif "De la parole aux actes!", réunissant notamment les associations "Sentinelle", "Parler et revivre", "comme une mère aimante", organise samedi à 14h deux rassemblements de croyants et de laïcs ainsi que de collectifs de victime, l’un à Lourdes et l’autre à Paris devant le siège de la Conférence des évêques.
"C’est l’occasion notamment pour le peuple catholique de dire au pouvoir en place leurs attentes concernant ce processus de reconnaissance de responsabilité, de réparation et de réforme qu’il faut engager", détaille François Devaux.
Un chantier qui s’annonce néanmoins titanesque, comme il l’explique: "ils doivent réinventer l’institution en sortant d’une institution monarchique pour créer une espèce de démocratie ouverte, qui a des contre-pouvoirs en interne qui permettent d’avoir un équilibre de fonctionnement." En outre, selon le militant associatif, ils doivent également réformer la théologie, en particulier "le sens même de l’engagement spirituel, les vœux d’obéissance, leur position sur la sexualité, la sincérité de l’engagement spirituel de l’Église".
"Sous peine qu’il ne reste dans deux générations plus grand-chose ni en termes de fidèles, de vocations, ni d’équilibre financier. Alors que l’on est déjà dans une situation catastrophique", prévient François Devaux.
Une révolution donc, sur laquelle les évêques devront se prononcer par vote lors de la clôture de leurs travaux le 8 novembre prochain…