Cours d'Anti-néolibéralisme
Avec l’aide de l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, Sputnik entame une série d’émissions dans le but d’expliquer les fondements de ce néolibéralisme qui génèrent les crises répétitives.

Comment les théoriciens du management néolibéral ont fait appel à l'expérience de Pavlov

Dans ce 20e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf explique à Sputnik comment des résultats d’expériences menées sur des animaux, à l’exemple de celles de Pavlov, ont été introduits dans les théories du management néolibéral, et pourquoi la théorie originelle de la motivation développée par Maslow est cruciale.
Sputnik
Au XXe siècle, avec l’apparition du mouvement des relations humaines dans la gestion des entreprises et du management, avec des penseurs comme Henri Fayol ou Elton Mayo, Abraham Harold Maslow (1908-1970) est celui qui a le plus travaillé sur la théorie de la motivation, démontrant l’importance vitale de la prise en compte de la dimension humaine.
Bien que cet aspect ait été longtemps négligé, faisant l’objet de conflits entre travailleurs et dirigeants d’entreprises, le débat sur la nécessité d’établir des méthodes de gestions tenant compte de la nature humaine des travailleurs refait surface avec acuité depuis quelques années, notamment dans le contexte de la pandémie de Covid-19 qui a plombé l’économie mondiale.
Qu’est-ce qui fait que la situation se corse gravement dans les entreprises actuellement? Quelles sont les doctrines qui encadrent les pratiques du management dans les entreprises? Comment ont-elles été introduites dans tous les aspects de la vie sociale et éducative?
Dans ce 20e cours d’"Anti-néolibéralisme", Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal et membre du conseil scientifique d’ATTAC Québec, explique à Sputnik que "lorsqu’une société est dominée par la pensée néolibérale, un management de même nature correspondra forcément".

Pavlov et le management

"Quand les lois du néolibéralisme à l’américaine sont érigées en grille d’explication et de conceptualisation de la vie économique, sociale et politique, il n’est pas étonnant qu’elles finissent par imprégner l’éducation, la santé, les relations humaines, les transports et la plupart des aspects de la vie", affirme le Pr Aktouf.
Et d’expliquer que "malgré les effets désastreux induits par le néolibéralisme à tous les échelons de la vie, il n’en demeure pas moins qu’il est toujours présenté comme un état irréversible, naturel, que personne ne pourrait changer, puisqu’il serait intimement lié à la nature humaine, à l’ordre des choses et à la logique économique".

Dans le même sens, il ajoute qu’on "s’est servi de la notion l’homo-aeconomicus pour présenter l’humain comme un être résolument dit rationnel, matérialiste, individualiste et égoïste. C’est à partir de là que les penseurs du néolibéralisme ont dévoyé les travaux du médecin et physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936) pour expliquer et conditionner le comportement des ouvriers dans les usines, en leur dénuant de toute dimension humaine comme s’ils étaient des animaux".

Cette conception de l’être humain le présentant comme égoïste, maximaliste et préoccupé uniquement par ses intérêts immédiats, la recherche de la richesse et de la puissance en augmentant son pouvoir et en dominant ses semblables, a amené, selon lui, "certains à faire appel au règne animal en transposant sur les humains des résultats d’études effectuées sur des rats, des pigeons, des chiens et des singes".
Dans ce contexte, "la cupidité, l’instinct de recherche de la domination et de la supériorité, la prédation et la sélection des plus forts prévalent comme les maîtres-mots de la gestion des entreprises", souligne-t-il.

"La soumission maquillée en attitude positive"

Malgré les méfaits palpables du néolibéralisme sur les plans écologique, social, culturel, sécuritaire, "ses théoriciens continuent d’essayer de faire comprendre à tout le monde que l’avenir sera meilleur, évacuant ainsi l’actualité endurée par l’humain, les sociétés et la nature", ponctue Omar Aktouf, soutenant que "ceci a engendré une organisation du travail où chacun se surpasse, ou doit se surpasser en permanence, le tout dans un cadre où son travail est réduit à la stricte exécution des ordres et des stratégies des managers. Jamais la soumission n’a été à ce point maquillée en une pensée positive. Les valeurs d’un cadre ou d’un employé du XXIe siècle sont celles que leur entreprise a choisies pour eux".
"Alors que les entreprises promettent la liberté à leurs employés, elles consacrent en même temps l’aliénation, elles font l’éloge de l’autonomie et exigent l’obéissance totale, elles raffolent de l’esprit d’initiative et répriment les erreurs", avance le Pr Aktouf.
"C’est dans ce cadre que les travaux de Maslow – qui a introduit des aspects liés à la morale, à la psychologie, à la réalisation personnelle, à l’estime de soi – sont importants, bien qu’ils aient été également dévoyés", conclut-il.
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