Myriam Dossou-d’Almeida, entrée au gouvernement en septembre 2020, est la ministre du Développement à la base, de la Jeunesse et de l`Emploi des jeunes.
Cette spécialiste de l’assurance, diplômée de l’Institut africain d’assurance de Tunis et de l’École nationale d’assurances (ENASS) de Paris, a été, les neuf années qui ont précédé sa nomination au gouvernement, directrice de l’Institut national d’Assurance Maladie (INAM) au Togo.
Considérée comme la figure de proue de l’assurance maladie au Togo, elle croit dur comme fer que l’économie sociale et solidaire est la clé du développement à la base en Afrique. Un modèle ancien pratiqué sur le continent que les Africains "ont abandonné",d’après elle, au profit de modèles capitalistiques et mercantilistes.
Elle vient d’ailleurs d’exposer lors d’un récent webinaire, sur le thème "Quels modèles d'ESS pour l'Afrique de demain?", l’expérience du Togo en matière d’économie sociale et solidaire. Un évènement organisé par la Faculté libre d’études politiques et en économie solidaire (FLEPES-INITIATIVES), le Réseau francophone de l’économie sociale et solidaire (REFRESS) et Make sense Africa.
Dans un entretien exclusif avec Sputnik, elle affirme que l’objectif du Togo est "qu’à échéance 2032, chaque Togolais puisse avoir accès à un minimum vital commun".
Et avec la pandémie du Covid-19, soutient-elle, le modèle togolais de l’économie sociale et solidaire s’est renforcé avec la naissance de plusieurs initiatives.
Sputnik: Dans un récent webinaire, organisé par Initiatives, REFRESS et Make sense Africa, où vous étiez aussi panéliste, vous vous êtes exprimée au sujet des modèles d’économie sociale et solidaire (ESS) possibles pour l’Afrique de demain. Finalement êtes-vous parvenue à une réponse?
Myriam Dossou-d’Almeida:"L’économie sociale et solidaire (ESS) n’est pas quelque chose de nouveau en Afrique. Les transformations du monde, le capitalisme avec son corolaire le consumérisme avéré, ont transformé nos sociétés et nos communautés. Aujourd’hui, on se retrouve en Afrique avec des économies à deux vitesses qui marginalisent une bonne partie des populations, parce que n’ayant pas traditionnellement, historiquement et culturellement cette forme d’échanges et de consommation. L’Afrique ne connaissait que l’économie sociale et solidaire. Une économie fondée sur les besoins de la population ou d’une communauté. Si aller vendre dans un marché relève d’une économie moderne, l’économie sociale et solidaire est plutôt pourvoyeuse de solutions à un problème d’ordre général, par un engagement volontaire et collectif."
Sputnik: En quoi est-ce différent, fondamentalement?
Myriam Dossou-d’Almeida:" Cette forme d’économie réduit l’ambition lucrative. Elle oriente prioritairement l’objet de l’activité économique sur les besoins collectifs d’une communauté. C’est également une économie qui prend en compte la préservation de l’environnement dans le déploiement de ses activités. L’homme qui travaille dans cette forme d’économie doit être aussi important que le client final. C’est-à-dire par exemple pour la réfection d’une route au profit d’une communauté dans un village, ce sont les membres de cette communauté qui se regroupent pour travailler. L’entreprise est payée, celle-ci paye suffisamment les travailleurs pour le service rendu à leur propre communauté. Et tout le monde est satisfait. Quoi de mieux pour donc conclure que de dire que l’économie sociale du marché est l’avenir de l’économie en général, parce qu’on a vu les limites des systèmes économiques mercantilistes, commercialo-commerciaux, capitalistiques. Je pense d’ailleurs que tous ces systèmes ont fait leurs preuves dans le monde. Et qu’en Afrique, le temps est arrivé pour que l’homme soit remis totalement au centre de toutes les initiatives. Vous l’avez vu. Le Covid-19 nous a montré, que le plus important est de préserver les vies humaines. Le monde a changé de modèle pour préserver les vies par des confinements et autres mesures."
Sputnik: Y a-t-il des exemples types de modèles d’ESS pour l’Afrique de demain?
Myriam Dossou-d’Almeida:"Chaque pays doit être capable d’adapter ses solutions à son environnement et à son contexte. Certains pays d’Afrique ont des populations très jeunes. D’autres ont des terres arables très cultivables, et des pays qui ont des infrastructures assez développées, etc. Donc chaque pays doit pouvoir analyser son contexte et se repositionner. La notion d’économie sociale et solidaire, c’est un contexte. Je dirai même une idéologie qui demande la prudence. On ne copie pas le voisin. L’ESS doit être bâtie sur une bonne connaissance des problèmes d’une communauté donnée et y embarquer les membres."
Sputnik: Dans quelle mesure l’économie togolaise intègre ces notions?
Myriam Dossou-d’Almeida:"Je vous donnerai trois exemples selon le modèle togolais. Il y a la mobilisation des jeunes dans les travaux d’intérêt communautaire dans les communes et dans les régions tout en étant payé par l’État togolais. À Atakpamé (dans la région des plateaux), les jeunes ont aménagé des espaces très conviviaux avec du bois qu’ils sont allés couper en brousse. Ils ont fabriqué pour les visiteurs et les accompagnateurs des malades des bancs sous les arbres dans la cour du CHR-Centre hospitalier régional. Nous les avons vus installer des poubelles et faire des sensibilisations pour leurs utilisations. Un autre modèle dont on peut parler, c’est le programme de cantine scolaire. Un programme qui crée de l’emploi notamment pour les femmes et pour les jeunes et qui, aujourd’hui, a fait l’objet d’une loi. Ce qui lui garantit une certaine pérennité avec un mécanisme de production créateur d’emplois en termes de logistiques et en termes de production d’aliments dans les communautés. Cette loi dit que, désormais, 40% de la composition de la nourriture qui est donnée aux enfants dans les cantines scolaires doivent provenir du marché local. Cela valorise aussi les gens de la communauté et apporte une solution qui est de faire manger les enfants dont les parents n’ont pas forcément les moyens et leur permettre d’être en condition de suivre les cours. Il faut dire en outre qu’au Togo, le Covid-19 a suscité beaucoup d’initiatives de types économie sociale et solidaire. C’est le cas du troisième exemple d’ESS que je citerai. Il est conjoncturel, parce que s’inscrivant dans un contexte particulier qui est celui du Covid-19. Il s’agit du programme de production des masques artisanaux en masse, subventionné par l’État, et qui ont été distribués dans les établissements scolaires pour soutenir les élèves en manque de ces moyens de protection contre le Covid-19. Il règle en même temps le problème du coût exorbitant des masques importés. En somme, autour de 12 millions de ces masques artisanaux ont été subventionnés durant l’année scolaire 2020-2021. Et ce n’est pas tout. Nous avons plein d’autres exemples comme ceux-là. C’est pour vous dire qu’au Togo, l’économie sociale et solidaire est une histoire ancienne."
Sputnik: Au-delà de ces applications ponctuelles au sein des communautés, est-ce que l'ESS se décline à l'échelle interétatique?
Myriam Dossou-d’Almeida:"L'économie sociale et solidaire est la solution au développement inclusif de l'Afrique. C’est la clé même du développement à la base. Je crois qu’on est sur le bon chemin avec même la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine), initiée par nos chefs d'État. Il s’agit d’une forme d’économie sociale et solidaire à l’échelle interétatique. Une forme de solidarité que les États acceptent de se mettre ensemble pour ouvrir leurs marchés aux produits venant d’ailleurs sur le continent. Au Togo, le Président de la République Faure Gnassingbé veut qu’à échéance 2032, chaque Togolais puisse avoir accès à un minimum vital commun (l’eau, l’énergie, les études, un petit marché qui met à l’abri des intempéries, etc.). Voilà tout le sens de tous les programmes qui ont cours dans le pays en termes d’économie sociale et solidaire."