"Ce n’est pas la guerre, c’est un combat."Les mots de la ministre de la Mer, Annick Girardin, sur RTL ce jeudi matin, sont forts et, semble-t-il, à la hauteur du courroux français vis-à-vis de Londres.
Accusée de ne pas avoir accordé assez de licences aux pêcheurs français, la Grande-Bretagne risque beaucoup: interdiction de débarquement dans six ports français et renforcement des contrôles sanitaires, douaniers et de sécurité des navires britanniques. Par ailleurs, pour ce qui concerne les camions "à destination et en provenance du Royaume-Uni", un zèle particulier dans les contrôles, quelle que soit leur cargaison, sera préconisé. Ces mesures entreront en vigueur le 2 novembre, si aucun accord n’est trouvé d’ici là.
"Chacun prend sa petite revanche sur l’autre"
Du côté de Londres, on met en cause la responsabilité française dans cette affaire.
"Quelle est l’origine de la brouille? La réponse est nécessairement subjective, mais du point de vue de Londres, on estime que M. Macron a joué un rôle plutôt hostile depuis le début des négociations du Brexit", explique au micro de Sputnik Jeremy Stubbs, président des Conservateurs britanniques en France.
Les deux camps se renvoient ainsi la balle sur les engagements post-Brexit que Londres assure respecter alors que Paris a un avis contraire. Mais cet épisode démontre surtout une réalité qui devient de plus en plus pressante: les relations entre Paris et Londres, autrefois alliés, se dégradent à vue d’œil depuis le Brexit.
Sur l’immigration, sur la pêche, sur la vente des sous-marins, les deux voisins multiplient les griefs.
"Chacun prend sa petite revanche sur l’autre. Je pense que du côté britannique, si les Européens se montrent difficiles, on soupçonne que c’est en partie du fait de M. Macron. Du côté de la France, on considère que M. Johnson se montre rétif sur la pêche. On est dans une situation où chacun prend constamment sa revanche sur l’autre, sans qu’il y ait de fin. Ils se rendent coup pour coup", résume le conservateur britannique.
Les relations franco-britanniques post-Brexit sont condamnées à un certain niveau d’animosité, poursuit-il. Et ces tensions ne risquent pas de s’arrêter de sitôt.
"Punition" pour être sorti de l’UE?
Interrogé au micro de Sputnik, le Président du parti République souveraine et candidat à la présidentielle 2022 Georges Kuzmanovic estime qu’il y a matière à se montrer frontal avec le Royaume-Uni:
"Après ce qu’il s’est passé avec la non-vente des sous-marins nucléaires, c’est légitime de dire son mot à la Grande-Bretagne, même si les Américains sont très largement impliqués dans cette affaire", tonne-t-il.
Néanmoins, ce dernier pense que "ce n’est pas la raison pour laquelle Paris hausse le ton. C’est bien de la faute du Brexit si Paris hausse le ton. C’est une sorte de punition. D’autant que la France ne négocie pas que pour la France, mais pour l’ensemble de l’Union européenne", sur ce dossier de la pêche.
Georges Kuzmanovic regrette donc que cet élan d’animosité soit fait "au nom de la Commission européenne", et non des intérêts français. Il y aurait ainsi "une logique de punition", même si "c’est plus compliqué de punir Londres qu’Athènes". L’Union européenne "a du mal à tenir face au peuple", à chaque fois que l’on interroge les peuples par référendum, "ceux-ci disent systématiquement non à Bruxelles".
"Un succès du Royaume-Uni serait catastrophique pour l’Union européenne, d’où cette logique de punition", affirme l’ancien compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon.
Une interprétation partagée Jeremy Stubbs: "Peut-être que dans la stratégie de négociation européenne, Macron joue le ‘bad cop’ et Mme Merkel le ‘good cop’. Est-ce le point de départ des hostilités entre Paris et Londres? C’est possible, même s’il est difficile d’en être certain. Il est clair qu’à partir de ces négociations, Macron n’était pas considéré comme le meilleur ami de Londres. La question de la pêche est le prolongement de ces négociations."
Et celle-ci semble même être devenue la pierre d’achoppement, obstacle à toute future collaboration. "Aucun autre sujet de coopération européenne avec le Royaume-Uni ne pourra progresser sans rétablir la confiance et appliquer pleinement les accords signés", a résumé le secrétaire d’État français aux affaires européennes, Clément Beaune, sur le plateau de Cnews. Celui-ci d’ajouter: "Maintenant il faut parler le langage de la force parce que je crains que, malheureusement, ce gouvernement britannique là ne comprenne que cela. J’ai l’impression qu’ils ont compris qu’il fallait revenir à la table de discussions. Mais s’ils ne le font pas, on continuera."
Les mots sont particulièrement durs, surtout au regard des griefs: l’accord post-Brexit prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques, à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Londres et Paris se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir, ainsi que sur le nombre de licences déjà accordées.
Face à ces tensions croissantes sur des sujets qui se règlent d’ordinaire sans "mesures de rétorsion", Georges Kuzmanovic appelle tout de même à l’apaisement, entre alliés historiques:
"De manière générale, je pense qu’il faudrait renouer de meilleures relations avec la Grande-Bretagne qui est un allié naturel de la France. Malgré certaines divergences, depuis la guerre de Crimée au XIXe siècle, la Grande-Bretagne a toujours été aux côtés des Français dans les moments difficiles. Notamment en 1940, lorsque le Royaume-Uni a accueilli Charles de Gaulle", explique-t-il.
Avec cette histoire en mémoire, "nous pourrions trouver des accords profitables aux deux pays. La France pourrait obtenir des droits de pêche dans les eaux britanniques et en échange, elle fournirait la Grande-Bretagne en énergie nucléaire", conclut le candidat.