Ils s’appellent Hajar, Hanaa ou encore Adnane. Ces deux dernières années, leur calvaire avait ému l’opinion publique marocaine et soulevé des débats sur l’application de lois jugées surannées. La première a été condamnée pour "avortement illégal" avant d’être graciée par le roi Mohammed VI. La seconde a été condamnée à un mois de prison ferme après avoir entretenu des relations sexuelles hors mariage.
Enfin, le troisième, âgé tout juste de 11 ans, a été violé et assassiné par un jeune homme de 24 ans qui a été condamné à la peine capitale. Sordide, le crime n’en avait pas moins suscité un débat houleux sur la peine de mort en début d’année 2021.
Un temps enfoui, ces différentes revendications soulevées à l’occasion de ces drames remontent à la surface avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement plus "libéral" qui suscite l’espoir, après 10 ans de gouvernance sous le signe du conservatisme du Parti de la justice et du développement (PJD) de tendance islamiste.
C’est ce qui semble se jouer, sur le terrain et la Toile, avec des mobilisations qui aspirent à imposer l’agenda sociétal au nouveau gouvernement d’Aziz Akhannouch.
Au lendemain des élections du 8 septembre dernier, le collectif des Hors-la-loi appelait les nouveaux parlementaires à "construire une vraie démocratie et une vraie égalité", notamment à travers la suppression de l’article 490 du Code pénal qui punit les relations sexuelles consensuelles hors mariage. Également dans la ligne de mire des défenseurs des libertés individuelles, l’article 453 relatif à l’avortement. D’ailleurs, Sputnik recueillait il y a quelques jours les impressions du docteur Chafik suite à de nouvelles arrestations pour avortements clandestins dans la ville de Fès. Le spécialiste pointait du doigt une loi archaïque et se réjouissait de l’arrivée d’un nouveau gouvernement, "capable de faire avancer les choses". Entre-temps, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), institution constitutionnelle, a relancé le débat sur la peine capitale, demandant au nouveau gouvernement son abolition, à l’occasion de la journée internationale contre la peine de mort.
Les Marocains, trop ambitieux?
Comment expliquer cette attente exprimée par une partie des Marocains? À en croire Nouzha Skalli, ex-ministre de la Famille et militante pour les droits des femmes, les Marocains ont vécu 10 années de frustration depuis la montée au pouvoir du PJD.
"Comme il s’agissait des premières élections après la Constitution de 2011, nous avions de très grandes ambitions pour la modernisation et le progrès de notre pays. Mais la première force qui a dirigé le gouvernement c’était la force la plus conservatrice du champ politique marocain."
Il est donc naturel qu’à l’issue de ces dernières élections qui ont donné lieu à un important engagement des jeunes et des femmes que les attentes soient énormes, confie-t-elle à Sputnik. D’autant plus que ces revendications sont "légitimes, à la portée, et relèvent même du devoir du gouvernement", estime-t-elle.
Néanmoins, force est de constater que si le nouveau gouvernement a déjà pris à bras le corps des chantiers prioritaires, la question des libertés individuelles, elle, semble absente du débat politique. Le gouvernement évite-t-il le sujet? Pour Nouzha Skalli, les forces politiques marocaines sont devenues plus timorées sur la question des droits.
"Obsolètes"
À l’instar des ONG de défense des libertés individuelles ou encore du CNDH, l’ancienne ministre plaide pour une refonte du code pénal qui est basé sur des concepts "obsolètes". Elle dénonce une loi datant de 1962, qui mentionne "une atteinte à la moralité publique" au lieu "d’une atteinte à l’intégrité de la personne" en ce qui concerne le viol. Des progrès certes, notamment en matière de violences envers les femmes sont à relever, mais un décalage avec la réalité persiste. Cette dernière doit être basée sur les engagements nationaux et internationaux du Maroc.
En attendant, Nouzha Skalli assure que le nouveau gouvernement "s'est engagé à donner un élan à l'approche de concertation prévue par la Constitution".
Un défi de taille qui attend la nouvelle équipe gouvernementale, qui devra concrétiser la volonté de changement que des Marocains ont exprimé en boudant le conservatisme islamiste, lors des élections du 8 septembre dernier. Reste à savoir si le gouvernement ne préférera pas entrer en résonance avec ce qu’il pourrait considérer comme "une majorité silencieuse" des Marocains, lesquels sans être forcément proches adeptes de l’islamisme du PJD, n’en demeurent pas moins, fondamentalement, conservateurs.