Un coup d’État militaire a eu lieu au Soudan dans la nuit de lundi à mardi. Des militaires conduits par le Président soudanais Abdel Fattah al-Burhan, qui est aussi le commandant en chef de l’armée soudanaise, ont encerclé le domicile du Premier ministre Abdallah Hamdok et l’ont assigné à résidence. Plusieurs autres ministres clés ont été également arrêtés dans la matinée.
Lundi soir, al-Burhan a annoncé que tout le pouvoir serait désormais concentré entre les mains de l’armée. Mardi, il a annoncé avoir dissous les organes supérieurs du pouvoir et proclamé l’état d’urgence en suspendant ainsi plusieurs articles de la déclaration constitutionnelle qui fixe le cadre de la période de transition après l’éviction d’Omar el-Bechir en 2019.
Tarek Kurdy, chef du Groupe soudanais des organisations internationales en Suisse, a parlé dans une interview exclusive avec Sputnik des raisons du coup d’État militaire au Soudan, les réactions internationales, nationales et régionales et les raisons pour lesquelles les politiciens soudanais ne s’attendaient pas à une telle action de la part de l’armée.
Il y a tout juste deux ans, une révolution a eu lieu au Soudan: les militaires ont renversé Omar el-Bechir. Que se passe-t-il maintenant?
"Nous avons déjà fait savoir clairement ce qui s’est passé. Les militaires ont organisé un coup d’État. Nous condamnons fermement les actions menées contre le gouvernement civil légitime. Toutes les conséquences de ces événements seront sur la conscience de l’aile militaire."
Les acteurs internationaux qui condamnent les actions d’al-Burhan peuvent-ils faire quelque chose pour influencer la situation dans le pays et le ramener à la normale?
"Tous ces États, alliances et organisations internationales qui ont déjà condamné les actions d’al-Burhan apportent un soutien politique important au gouvernement légitime. Et les Soudanais l’apprécient beaucoup."
Quelles sont les raisons qui, selon vous, ont poussé al-Burhan à ce coup d’État? Est-ce que cela annule tous les acquis de la révolution d’il y a deux ans?
"La raison principale est l’expiration imminente du mandat de l’administration intérimaire de l’armée. En novembre, al-Burhan était censé transférer l’intégralité du pouvoir aux civils du Conseil de souveraineté. Inutile de dire qu’une fois le pouvoir transmis, il ne pourrait pas continuer à freiner l’enquête sur les crimes de guerre au Darfour et empêcher les experts de la Cour pénale internationale de faire leur travail, par exemple.
Étant donné que les militaires ont brutalement interrompu un sit-in de politiciens civils, qu’ils avaient annoncé après des rumeurs de prolongation des pouvoirs du gouvernement militaire pour 10 ans, on aurait pu s’attendre à une action anti-gouvernementale. Mais personne ne s’attendait à ce que les militaires osent agir si rapidement, si soudainement et si brusquement."
Néanmoins, le lendemain du coup d’État, les Soudanais sont descendus dans la rue pour appeler à la désobéissance et au rejet total de ce qui s’était passé. Parviendront-ils à faire passer leur message à l’aile militaire et à al-Burhan?
"C’est exact, les Soudanais ont déjà exprimé leur opinion sur cette question, et ils l’ont fait très clairement. Notre peuple, en particulier les jeunes, n’est pas prêt à se séparer de la liberté et de la démocratie qu’il a obtenues après le renversement d’Omar el-Bechir il y a deux ans. Personne ne veut de recul dans le développement du pays, personne ne veut non plus détruire son propre avenir. Et je crois que la volonté du peuple prévaudra sur la force des armes."
Si l’on arrive à sauver la situation, le gouvernement devra probablement corriger ses erreurs. À votre avis, quelles erreurs doivent être corrigées en premier lieu?
"Il ne fait aucun doute qu’il y aura beaucoup de travail à faire: normaliser et systématiser le travail du Conseil législatif, de la Cour constitutionnelle, du ministère public, des commissions et des autres institutions qui sont à la disposition du Conseil militaire. Leur travail a été tout simplement perturbé ces derniers mois ce qui a donné l’occasion de faire ce coup d’État. Il faudra s’en occuper rapidement."
Y a-t-il un risque que la communauté internationale reconnaisse le gouvernement militaire soudanais après ce coup d’État?
"Je suis sûr que le peuple soudanais, qui continuera certainement à résister à la dictature militaire, convaincra la communauté internationale qu’on ne peut le faire. C’est un crime. Point final."
Que diriez-vous aux Soudanais maintenant?
"Continuez à manifester, pas seulement à Khartoum, mais dans d’autres villes du pays. Faites preuve de désobéissance civile, faites la grève. C’est la seule façon de retrouver notre liberté."
Al-Burhan a déclaré qu’un cabinet de technocrates dirigé par un nouveau Premier ministre serait bientôt mis en place. Ce gouvernement dirigera le pays jusqu’aux élections générales prévues en juillet 2023.