Le Gabon, pays membre de la Francophonie, est-il en passe de tourner le dos au monde francophone? Dans la perspective de son intégration au Commonwealth, une deuxième mission de cette organisation a évalué récemment le pays sur divers aspects liés à la démocratie et la transparence gouvernementale. Une deuxième étape avant la troisième attendue pour son intégration définitive à cette organisation qui compte 54 États membres -dont l’anglais est la langue commune-, pour l’essentiel d'anciens territoires de l'Empire britannique.
Que recherche le Gabon?
Alors que la première évaluation avait eu lieu en avril 2021, les rapports des trois missions seront soumis au prochain sommet du Commonwealth prévu cette année au Rwanda. Pour Libreville, sa volonté d’adhérer à cette organisation ne signifie pas qu’elle tourne le dos à la Francophonie, organisation regroupant 88 pays sur les cinq continents, ayant en commun l’usage du français. Elle vise, précisent les autorités, à élargir la liste des partenaires du Gabon. Un positionnement stratégique, relève Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE): "Tout simplement parce qu'il y a 2,3 milliards de locuteurs [contre 300 millions pour la Francophonie, ndlr] de la langue anglaise dans le monde et c'est une association [le Commonwealth, ndlr] qui est redynamisée par le Brexit, avec le retour de la Grande-Bretagne comme place financière et qui a l'ambition de se positionner différemment des pays européens".
"Il n'est pas étonnant que la plupart des pays comme le Gabon veuillent jouer sur plusieurs tableaux en étant membre de plusieurs organisations pour doper ou multiplier leurs positions dans la perspective de leur développement", explique-t-il au micro de Sputnik.
Petit pays d’Afrique centrale avec un peu plus de deux millions d’habitants, le Gabon a longtemps constitué un pays clé pour la France sur le continent. Si une profonde proximité culturelle existe toujours entre les deux États, qui partagent une longue histoire coloniale, le temps et le décès de Bongo père ont eu raison de l'influence française sur cette ancienne colonie. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, en 2009, le pays a en effet largement diversifié sa coopération économique en s’ouvrant à d’autres grandes puissances, même si la France demeure encore son principal partenaire. "Avec une part de marché de 27%, la France est le premier fournisseur du Gabon, devant la Belgique et la Chine", est-il indiqué sur le site du Quai d’Orsay.
Cette tentative de diversification a été interprétée comme une volonté de la part de Libreville de "s’affranchir du giron stratégique français", selon nombre d’observateurs qui en voulaient aussi pour preuve les coups de froid qui ont ponctué les relations bilatérales. En 2016, à la suite de l’élection présidentielle au Gabon et du souhait du Parti socialiste français d’observer une transition au pouvoir au Gabon, les relations entre les deux pays s'étaient sérieusement détériorées. Durant les mois qui avaient précédé le scrutin, de multiples procédures avaient été engagées en France contre des proches du Président Bongo.
Le déclin de l’influence de la France
En demandant à accéder au Commonwealth, Libreville semble avoir été inspiré par le Rwanda, membre du Commonwealth depuis 2009, et dont la prospérité économique est de plus en plus vendue sur le continent comme un modèle de développement.
Ancienne colonie belge, le Rwanda était le premier pays de tradition francophone à rejoindre le Commonwealth et le deuxième, après le Mozambique, à rejoindre l’organisation sans avoir jamais été colonie britannique, ni entretenu de lien constitutionnel avec la couronne. Alors que la France avait tôt fait de tisser des liens stratégiques avec le Rwanda dès son indépendance, afin de le rapprocher de sa zone d'influence francophone et de l'éloigner des pays anglophones frontaliers, Kigali avait dès 2006 ouvertement manifesté son désir d’embrasser le monde anglophone. Une "transhumance" accélérée avec la dégradation des relations entre les deux pays. Depuis 1994, les autorités de Kigali à majorité tutsie accusent Paris d’avoir aidé les génocidaires hutus alors au pouvoir, ce que la France a toujours démenti.
Pour Hippolyte Éric Djounguep, chercheur à Trends Research and Advisory et consultant en géopolitique, si le Commonwealth, contrairement à la Francophonie, semble avoir gagné en réputation au sein des pays africains, pour son modèle de développement, ceci découle en partie "d'une mauvaise politique paternaliste de la France dans ses prés carrés longtemps après les indépendances".
Dès lors, il y a "un désir de sortir définitivement de l'hyper dépendance de la Francophonie et de l'hégémonie de la France. Le Gabon veut diversifier sa coopération et ses soutiens au sein de la communauté internationale et, de ce fait, ne plus subir le chantage de la France dans le concert des nations", poursuit-il au micro de Sputnik.
"Contrairement à l’Afrique anglophone par exemple, les dirigeants des pays d'Afrique francophone disposent de très peu de leviers pour s'affirmer en tant qu'États indépendants. Et en plus, la Francophonie n’est pas un espace de prospérité économique pour les pays africains. Ces pays accusent pour la plupart un énorme retard dans leur développement économique, les populations croupissent dans une extrême pauvreté. Vous allez le constater, plusieurs des anciennes colonies françaises tentent d’autres types de partenariats parce que déçues par les résultats de la coopération avec la France", se désole Hippolyte Éric Djounguep.
Par ailleurs, le sentiment antifrançais ne cesse de monter au sein de ses anciens territoires, terrain de la lutte d’influence entre les grandes puissances. L’un des exemples récents, c’est bien la République centrafricaine (RCA) longtemps sous influence française, mais qui semble résolument tournée vers d’autres horizons. Dans une récente interview à Sputnik, Albert Yaloké Mokpeme, ministre délégué et porte-parole de la présidence centrafricaine, a affirmé que les expériences de coopération depuis l’indépendance n’ont pas permis d’obtenir "des résultats probants", mais s’est félicité de résultats jusque-là inégalés obtenus dans le cadre de coopération avec la Russie.