Flambée des prix de l’électricité: les Français condamnés à subir

Une dizaine d’États membres de l’UE rejettent la proposition française de découpler les prix du gaz et de l’électricité. Un coup dur pour une France dont la majorité de l’électricité est produite à bas coût grâce au nucléaire.
Sputnik
Face à la flambée des prix de l’électricité et du gaz, les Français vont devoir se contenter de leurs chèques énergie. Sans surprise, la réforme du marché européen de l’énergie plébiscitée par Bruno Le Maire n’est pas passée. Tant à Bruxelles, où dès la mi-octobre Kadri Simson, commissaire à l’Énergie, avait renvoyé le ministre français dans les cordes, qu’au niveau des vingt-sept "partenaires européens" eux-mêmes, dont il aurait fallu obtenir un soutien unanime.

"Nous ne pouvons soutenir aucune mesure qui entre en conflit avec le marché intérieur du gaz et de l'électricité, par exemple une réforme ad hoc du marché de gros de l'électricité", conclut ainsi une déclaration commune signée de neuf pays à l’issue du Conseil des ministres de l’Énergie de l’Union européenne.

Emmenés par Claude Turmes, ministre luxembourgeois de l’Énergie, ils étaient même onze (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas et Suède) à s’opposer à la proposition de Bruno Le Maire, uniquement soutenu par ses homologues espagnol et grec.
Celui-ci défendait notamment un découplage du prix de l’électricité de celui du gaz, dans la mesure où la France produit la quasi-totalité de sa consommation intérieure grâce à son parc de centrales nucléaires et de barrages hydroélectriques. Une singularité au sein de l’UE, dont 37% de la production électrique est encore assurée par des énergies fossiles (charbon et gaz). "On prend de plein fouet cette augmentation des prix du gaz alors même qu'on a notre indépendance en matière de production électrique: c'est totalement aberrant", déclarait le ministre, fin septembre, qualifiant d’"obsolètes" les règles qui régissent le marché unique de l’électricité.

La "boîte à outils" de Bruxelles jugée amplement suffisante

Mais à l’inverse de Bruno Le Maire, ces onze ministres dont les pays n’ont pas ou plus de production électrique nucléaire, jugent que ce marché européen "construit conjointement et progressivement au cours des dernières décennies […] a bien fonctionné pendant vingt ans avec des prix réellement compétitifs". Ils estiment ainsi qu’"il serait extrêmement dangereux d’interférer" avec ce marché, dans la mesure où "cela pourrait détruire toute confiance" en celui-ci.
Pour ces capitales, la "boîte à outils" présentée le 13 octobre par la Commission européenne -à savoir l’autorisation d’octroyer à la population des chèques énergie ainsi que de baisser la TVA- contient des mesures amplement suffisantes pour réduire l’impact de la hausse des cours "sur les consommateurs et les entreprises" jusqu’au printemps. Date à laquelle il est espéré que les cours en question reviendront à des niveaux raisonnables. Un optimisme que ne partage pas totalement le gouvernement français, qui plus est à la veille d’élections nationales. En France, le blocage des prix ne s’arrêtera pas en avril, mais fin 2022. Une baisse des taxes est même dans les cartons pour maintenir ce bouclier tarifaire vaille que vaille au cas où les cours ne baisseraient pas.
Quant au long terme, les neuf États membres signataires appellent à accélérer l’installation des énergies renouvelables (EnR). Pour eux, la transition énergétique impulsée à l’échelon européen pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 n’est pas une cause de la crise actuelle, mais une partie de la solution.

Face à l’envolée des prix: plus d’Europe et d’éoliennes

Depuis plusieurs mois, c’est pourtant ce recours trop massif aux EnR qui est pointé du doigt. Soumis aux caprices de la météo, tant l’éolien que le solaire accentuent la crise ainsi que la dépendance aux énergies fossiles. L’installation de centrales à gaz va en effet de pair avec la multiplication de ces moyens de production intermittents.
Un constat à charge qu’a dressé… un haut responsable européen. "Il y a beaucoup d’énergies renouvelables aujourd’hui, en Europe en particulier, et il se trouve qu’au cours des six dernières semaines, il n’y a pas eu de vent en Europe!", développait fin septembre Thierry Breton sur le plateau du Grand Jury. Le commissaire européen au Marché intérieur énumérait alors les raisons de la flambée des prix de l’énergie. "La Grande-Bretagne, c’est une catastrophe en ce moment parce qu’ils dépendent beaucoup des éoliennes", insistait-il.
Coûteuses, peu efficaces et laides: les éoliennes en pertes de vitesse
Par ailleurs, la création d’un autre marché européen, dit du carbone, toujours dans cette optique de réduction des émissions de gaz à effet de serre, est également accusée d’avoir contribué à la flambée des cours de l’électricité. En plus de la matière première, les entreprises du Vieux Continent produisant de l’électricité à partir des énergies fossiles doivent également acheter des quotas de "droit à polluer". Or, eux aussi sont régis par la loi de l’offre et de la demande et en forte hausse (+60%) cette année.
Qu’à cela ne tienne, les contradicteurs de Bruno Le Maire estiment que ce marché européen est en réalité "un élément clé pour faciliter la transition [énergétique, ndlr]" voulue par Bruxelles. Ils appellent donc, en plus d’accélérer l’installation des EnR, à renforcer l’interconnexion des réseaux électriques entre États, soit l’exact opposé de ce qu’espérait le ministre français qui mettait en avant l’indépendance énergétique de la France.

Le nucléaire français mal aimé… mais plébiscité par ses concurrents

Pour la faire courte, si les Français estiment qu’ils ne devraient pas payer aussi cher une électricité qu’ils sont capables de produire à bas coût grâce à leurs centrales nucléaires et à leurs barrages hydroélectriques, leurs voisins européens veulent que cette électricité française contribue à faire baisser leur propre facture énergétique le temps qu’ils installent leurs éoliennes. Au-delà de ce dialogue de sourds à l’échelon européen, autant dire que les foyers français n’ont pas fini de se faire du souci pour leur note d’électricité.
Les détracteurs de la démarche de Bruno Le Maire ne manquent pas non plus de souligner certaines contradictions de Paris. Dans la mesure où ceux-ci estiment que le cours de l’électricité est élevé, EDF engrange logiquement des profits grâce à la production de ses centrales nucléaires. L’électricité de ces dernières alimente ce même marché de gros, aujourd’hui pointé du doigt par l’exécutif tricolore. Mais les conséquences d’un coût trop élevé de l’énergie ne se cantonnent pas à la comptabilité des entreprises qui la fournissent.
Bien avant cette envolée du cours du kilowattheure, la facture moyenne des Français avait déjà augmenté de plus de 50% entre 2010 et 2020. Une conséquence directe de la politique nationale de développement des EnR, mais aussi de la libéralisation du marché de l’énergie impulsée par Bruxelles. Une tendance difficile à encaisser pour les acteurs économiques d’un pays déjà champion mondial de la pression fiscale.
Économiquement, cette hausse du coût de l’énergie est un avantage compétitif de moins pour les entreprises françaises, notamment face à leurs concurrentes européennes. Pourquoi donc permettre à la France de recouvrer un tel avantage?
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