Suicide de la jeune Dinah: briser le silence permettra-t-il d’arrêter les harceleurs?
Début octobre, une jeune alsacienne s’est pendue dans sa chambre. Pour ses proches, c’est le harcèlement scolaire qu’elle a subi qui l’a poussée au suicide. Des associations reviennent pour Sputnik sur un fléau qui fait de trop nombreuses victimes.
Sputnik"
En classe, on la bousculait, on tapait sur sa chaise, elle pouvait passer une heure à être secouée. On a aussi pris son carnet de correspondance pour dessiner des obscénités dessus." Samira, la mère de Dinah, est revenue pour
BFMTV sur le calvaire enduré par sa fille âgée de 14 ans. Selon ses parents, après avoir annoncé à ses amies "
qu’elle était LGBT", la jeune collégienne de Kingersheim, en Alsace, a dû essuyer régulièrement les insultes "
sale lesbienne, sale race, sale métisse". La famille estime que c’est le harcèlement scolaire qu’elle a vécu durant deux ans, en classe de 4e et de 3e, qui est à l’origine de son suicide par pendaison dans la nuit du 4 au 5 octobre dernier.
À la lumière de ces informations, Edwige Roux-Morizot, procureure de la République de Mulhouse, a annoncé le 25 octobre l’ouverture d’une enquête. "Il est important que nous allions vérifier tous ces éléments-là", a-t-elle déclaré.
La conséquence d’une société violente?
Néanmoins, ce drame est loin d’être un cas isolé. Le 30 septembre dernier, après avoir raconté à sa famille être victime de harcèlement,
Chanel, une adolescente de 12 ans, élève de 5edans un collège du Pas-de-Calais, mettait aussi fin à ses jours. En France, ce sont
700.000 enfants qui sont harcelés chaque année, d’après les chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Comment expliquer que ce phénomène prenne une telle ampleur?
Contacté par Sputnik, Laurent Boyet, président et fondateur de l’association Les papillons, estime que "partout, autour des jeunes, on leur montre un modèle de société où pour avancer, pour être le plus populaire, il faut faire mal, être violent".
"Quand on voit par exemple les téléréalités actuellement, que regardent tous les jeunes, la personne dont on parle le plus, celle qui fait le buzz, c’est celle qui insulte, qui agresse, c’est celle qui fait le plus mal. C’est pareil pour les séries à l’image de Squid game", détaille Laurent Boyet.
Si la société peut donc avoir une incidence sur ces cas de harcèlement, la période de l’adolescence joue également un rôle central. "Quand on est adolescent ou préadolescent, on a un besoin d’affirmation, de construction, de son être, de son soi. Et en même temps un besoin d’être dans une forme de norme", explique Olivia Mons, porte-parole de la fédération France victimes.
"Cette normalité étant recherchée, tout ce qui paraît faire différence est alors rejeté parce que l’on est dans une forme de manichéisme: soit tu me ressembles et je te ressemble donc on est copain, copine. Sois tu ne me ressembles pas, tu fais une différence et alors on te rejette", précise-t-elle.
"Ils se font harceler parce qu’ils sont roux, gauchers, dès qu’ils sont différents de la norme qu’a érigée en règle l’harceleur. Tout est prétexte à harceler", abonde Laurent Boyet.
Tout est prétexte à harceler
Et c’est à partir de cet instant que la spirale infernale s’enclenche. Cela se manifeste au début de manière ponctuelle, puis régulièrement, sous l’effet de groupe. Notamment avec un leader dans le harcèlement et des témoins passifs, complices ou tout simplement complaisants, détaille la porte-parole de France victimes. Or ces faits commencent dès le plus jeune âge, prévient Laurent Boyer: "60% des messages que l’on reçoit dans les boîtes aux lettres Papillons [installées dans certaines écoles afin de recueillir des témoignages, ndlr] sont des mots qui touchent au harcèlement scolaire. Ils nous écrivent dès l’âge de six ans."
Alors comment faire pour mettre fin à ce fléau? Pour nos deux interlocuteurs, il faut réussir à libérer la parole des victimes: "C’est la loi du silence qui permet aux agresseurs de continuer de harceler leurs victimes", regrette le président de l’association Les papillons. Dans le cas de Dinah, sa mère a d’ailleurs confié que sa fille l’avait dissuadée de déposer une main courante, sous peine de voir les choses s’empirer.
"Il faut réussir à briser cette emprise et que les enfants aient la force, le courage d’en parler. Après il faut que les parents aillent voir l’école, la police", souligne Laurent Boyet.
En outre, un accompagnement est nécessaire pour faire cesser la situation, affirme Olivia Mons. Pour ce faire, la porte-parole de France victimes rappelle qu’il existe le numéro mis en place par l’Éducation nationale (le 3020). Il permet d’entrer en contact avec un référent harcèlement.
La nécessité d’accompagner les victimes
En cas de
cyberharcèlement, il y a le 3018, le numéro national contre les violences numériques. Il permet notamment, grâce à "
des accords avec les réseaux sociaux, de faire arrêter les publications". Et enfin, le numéro de France victimes (116 006), "
qui est le numéro du ministère de la Justice, qui permet un accompagnement global: éventuellement pour une plainte, mais aussi pour du soutien psychologique et un accompagnement social".
"On sait pertinemment que derrière ces problématiques de harcèlement, cela a des conséquences à court, moyen et long terme", constate Olivia Mons.
En effet, même lorsque les fait de harcèlement s’arrêtent, les séquelles peuvent rester gravées si la victime n’est pas suivie par un spécialiste. Dans une publication Facebook, Samira a déploré qu’"arrivée au lycée" en classe de seconde, sa fille avait "repris du poil de la bête" avec une "nouvelle année, un nouvel établissement et de nouvelles copines". "Malheureusement, elle les a recroisées [ses harceleuses, ndlr] à la cantine, elle a sombré! Tout lui est remonté à la figure."
Laurent Boyet pointe en outre le manque de réaction forte de la part du ministère de l’Éducation nationale. "On ne peut pas se satisfaire d’entendre le ministre de l’Éducation nationale dire, à chaque suicide d’enfant, que ça doit nous alerter. Cela doit faire plus que nous alerter, cela doit vraiment nous faire agir", fustige-t-il.
Des actions que le ministère de l’Éducation a lancées depuis la rentrée scolaire 2021. Ainsi, après une expérimentation de deux ans, dans six académies, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire (pHARe) a été généralisé à toute la France. Il prévoit notamment la sélection d’ambassadeurs "Non au harcèlement", la sensibilisation des parents à travers des ateliers, ou encore la formation d’une équipe pluricatégorielle à la prise en charge spécifique du harcèlement dans les écoles et les établissements.