"Nous méritons de la part des grandes puissances comme la France du respect et de la considération pour nos dirigeants. Les Centrafricains sont étonnés de la manière et du manque de politesse avec lequel il [Jean-Yves Le Drian, ndlr] a tenu ces propos. Je pense quand même que nous devons prendre l'opinion nationale et internationale à témoin. Ce sont des propos que nous trouvons inacceptables. Cette manière de considérer les anciennes colonies françaises comme le prolongement du territoire français est inadmissible", a condamné au micro de Sputnik Albert Yaloké Mokpeme, ministre délégué et porte-parole de la présidence centrafricaine.
Cette réponse ferme de Bangui fait suite à une énième sortie du ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian au sujet de la présence russe en République centrafricaine(RCA). En effet, le 17 octobre, sur le plateau de la chaîne publique France 5, le chef de la diplomatie française a accusé des membres du groupe de sécurité privée russe Wagner, qui selon lui "fait la guerre par procuration pour le compte de la Russie", d’un certain nombre de maux.
La rivalité Paris-Moscou en RCA
Engagée depuis 2018 dans une coopération militaire avec le gouvernement du Président Touadéra, la Russie revendique officiellement la présence de 1.135 instructeurs russes en Centrafrique. Ces instructeurs ne prennent pas part directement, selon Moscou, aux opérations de combat contre les groupes rebelles. Le gouvernement français semble quant à lui assimiler cette présence à celle, présumée, d’un groupe de sécurité privée russe, Wagner. Pourtant, dans une récente sortie médiatique le 25 septembre dernier, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, avait bien mis les points sur les i en appelant à ne pas confondre "les approches étatiques" avec les accords que pourraient nouer certains États, africains en l’occurrence, avec des entreprises privées.
Plus récemment, le 21 octobre, le Président russe Vladimir Poutine a rappelé que les activités des sociétés de sécurité privée russes en Afrique n’étaient pas liées à l’État, et que celui-ci serait prêt à agir si jamais ces mêmes entités privées venaient à compromettre les intérêts nationaux.
Par ailleurs, alors que la coopération militaire entre la France et la RCA s’est nettement refroidie, et à mesure que l’influence de Paris s’effrite et que le sentiment antifrançais au sein de l’opinion ne cesse de monter, le gouvernement français semble vouloir faire pression sur le gouvernement centrafricain.
Ainsi, la France a déjà gelé "jusqu’à nouvel ordre" son aide budgétaire à la Centrafrique et suspendu sa coopération militaire avec ce pays d'Afrique centrale, jugé "complice" d'une campagne antifrançaise prétendument orchestrée par la Russie.
Pour sa part, Bangui n’y va pas du dos de la cuillère pour affirmer sa liberté de choisir en toute liberté ses partenaires et d’en apprécier l’état de la coopération: "Ce n’est pas à la France d’attribuer les bons ou mauvais points à nos partenaires", précise le porte-parole de la présidence.
"Nous avons tenté depuis notre indépendance des expériences qui n'ont pas donné des résultats probants. La RCA reste toujours un pays sous-développé, fragile malgré toutes les potentialités et toutes les richesses que nous avons. Nous devons aller vers tous les pays qui peuvent nous aider à nous sortir de cette crise militaro-politique que nous connaissons, et du sous-développement. Dans le cadre de cette coopération bilatérale, nous avons eu recours à la Fédération de Russie, au Rwanda et à beaucoup d’autres pays amis. Ces deux pays ont répondu favorablement et nous ont aidés à repousser les rebelles. Les résultats sont satisfaisants", poursuit Albert Yaloké Mokpeme.
Des résultats inégalés avec les instructeurs russes
"Pour le moment, en ce qui concerne le plan militaire et la défense du pays, la coopération avec les instructeurs russes donne des résultats qu'aucun autre pays n'a pu nous obtenir, et ça nous en sommes très satisfaits et il appartient aux Centrafricains de décider du sort de leur pays", insiste l’officiel centrafricain en soulignant qu’au-delà de l’aspect militaire, il est aussi question pour Bangui de diversifier sa coopération avec ses nouveaux partenaires sur les plans "économique, commercial, industriel et agricole".
Depuis 2013, la Centrafrique est le théâtre d’affrontements entre groupes armés qui commettent d’innombrables exactions. Le 6 février 2019, les protagonistes de la crise ont signé un nouvel accord pour le retour à une vie normale. Plus de deux ans après, les violations du huitième accord de paix sont encore nombreuses sur le terrain. Si le Président Touadéra a réussi grâce au soutien des instructeurs militaires russes et des soldats rwandais à repousser les assauts des rebelles loin de Bangui, de nombreuses attaques furtives sont encore enregistrées dans l’arrière-pays, malgré la présence des Casques bleus de la MINUSCA.