Le 29 septembre, le site israélien spécialisé dans le secteur de l’énergie EnergiaNews a annoncé la conclusion, le 24 du même mois, d’un accord de prospection de pétrole entre la société israélienne Ratio Petroleum Partnership, via sa filiale Ratio Gibraltar, et l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) marocain. Le contrat, dont Ratio Gibraltar détient 100% des droits pendant sa phase d’étude, porte sur l’exploration de ce qui est appelé le bloc Dakhla Atlanctic, au large des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental, sur la côte atlantique.
Ce bloc a une superficie de 129.000 kilomètres carrés et une profondeur de 3.000 mètres. Selon le site marocain Yabiladi, le royaume chérifien, qui considère le territoire sahraoui comme étant sous sa souveraineté, "toucherait une redevance de 7% si le pétrole est découvert à plus de 200 mètres sous les eaux avec une production de plus de 500.000 tonnes, et pour le gaz naturel, 3,5% pour une production de plus de 500.000 mètres cubes".
Cette information, non confirmée officiellement, a été publiée par EnergiaNews le même jour où le Tribunal de l’Union européenne (UE) annulait les deux accords agricole et de pêche liant l’UE au Maroc, en vigueur depuis plus de 20 ans, pour cause d’illégalité de l’exploitation du sol et des ressources du Sahara occidental. Les deux arrêts rejettent ainsi, une nouvelle fois, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, considéré comme territoire non autonome.
Sur quelle base juridique s’appuie cet accord? Que décidera le Front Polisario face à la mise en application de ce contrat? Cet accord peut-il compliquer la mission de l’envoyé spécial de l’Onu pour le Sahara occidental qui prendra ses fonctions le 1er novembre?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le représentant du Front Polisario en Europe et à l’Union européenne, Oubi Bouchraya Bachir, et le professeur en droit constitutionnel Carlos Ruiz Miguel, directeur du Centre d’études sur le Sahara occidental de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne.
"Le Maroc joue à la diversion avec l’aide d’Israël"
"Depuis la proclamation unilatérale de Donald Trump reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, en violation flagrante du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu, le Maroc profite du rétablissement de ses relations diplomatiques avec Israël pour se protéger politiquement, militairement et maintenant économiquement, contre toute pression internationale, afin de continuer à piller les ressources du peuple sahraoui", affirme M.Bouchraya Bachir.
Et d’ajouter que "ce n’est pas par pur hasard que l’information, si elle est confirmée officiellement, a été publiée le même jour où le Maroc essuyait un cuisant revers juridique, suite à la décision du Tribunal de l’UE d’annuler les deux accords de pêche et agricole le liant à l’Union européenne. Au-delà de ces deux contrats, le Front Polisario a non seulement été consolidé dans son statut de représentant unique et légitime du peuple sahraoui, mais il a même acquis la personnalité juridique pour représenter son peuple auprès des instances de justice internationale pour défendre ses droits et ses richesses, empêchant leur pillage par le Maroc ou toute autre entité étrangère, que ça soit Israël ou autres. Ainsi, comme d’habitude, le Maroc joue à la diversion avec, cette fois-ci, l’aide d’Israël pour cacher son désarroi après la décision du Tribunal de l’UE. Ainsi, toute la communauté internationale sait à qui doit-elle s’adresser quand il s’agit d’activités économiques engageant les ressources naturelles du Sahara occidental".
Dans le même sens, Oubi Bouchraya Bachir explique qu’"en cas de lancement de l’exploitation du bloc Dakhla Atlantic par le société israélienne, le Front Polisario usera de tous les moyens juridiques à sa disposition pour porter auprès des tribunaux internationaux une requête demandant la suspension immédiate de cette activité".
Quelle base juridique à cet éventuel accord?
En février 2002, le Conseil de sécurité avait demandé, dans une affaire similaire, au secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et conseiller juridique de l’Onu à l’époque, Hans Corell (1994-2004), un avis juridique sur la légalité de certains contrats signés par le Maroc avec des sociétés étrangères pour l'exploration de ressources minérales au Sahara occidental.
M.Corell avait indiqué dans sa réponse, selon un communiqué de l’Onu, que les contrats en question, qui traitent de la reconnaissance et de l'évaluation du pétrole, n'impliquaient pas l'exploitation ou l'enlèvement physique des ressources minérales. Ainsi, il avait conclu que "les contrats spécifiques visés par la demande du Conseil de sécurité n'étaient pas en eux-mêmes illégaux". Cependant, la note ajoute que "si, toutefois, de nouvelles activités d'exploration et d'exploitation devaient se poursuivre sans respecter les intérêts et les souhaits du peuple du Sahara occidental, les contrats violeraient les principes juridiques internationaux relatifs aux territoires non autonomes".
Pour Carlos Ruiz Miguel, "l’éventuel accord entre le Maroc et la société israélienne Ratio Petroleum Partnership rentre dans la même catégorie juridique des contrats sur lesquels s’est prononcé Hans Corell en février 2002. À cet effet, si l’accord entre les deux parties se limite uniquement à des activités de recherche et d’exploration, il ne sera pas illégal du point de vue du droit international. Par contre, s’il s’agit d’activités de forage, d’extraction et d’exploitation de pétrole et de gaz, comme l’annoncent un bon nombre de médias marocains, l’avis et les intérêts du peuple sahraoui doivent impérativement être pris en compte en consultant son représentant unique, légitime et juridique, le Front Polisario. À défaut, ce contrat sera déclaré strictement illégal au regard des principes juridiques internationaux relatifs aux territoires non autonomes".
Dans le même sens, le spécialiste indique que "dans ce cas, l’Onu pourrait ordonner l’interdiction d’exportation des hydrocarbures produits au Sahara occidental et le séquestre de tout bateau les transportant à des fins d’exportation dans les eaux internationales. Dans ce cas, si le but de ce projet est d’exporter du pétrole et du gaz émanant du bloc Dakhla Atlantic, l’Onu pourrait l’arrêter net. En revanche, s’il est destiné à alimenter le marché marocain, il va falloir construire plusieurs centaines de kilomètres de pipeline pour acheminer le pétrole et le gaz vers le royaume, ce qui s’avère extrêmement difficile dans le contexte de la reprise des hostilités armées entre les deux parties en conflit depuis novembre 2020, au niveau du passage frontalier de Guerguerat".
Quid de la mission de de Mistura?
C’est dans ce contexte qu’intervient la nomination du nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu, l’Italo-Suédois de 74 ans Staffan de Mistura qui prendra ses fonctions le 1er novembre. Alors que sa tâche s’annonce déjà difficile, la mise en application de cet éventuel accord entre le Maroc et la société israélienne "pourrait effectivement compliquer davantage sa mission, voir la saboter complètement", souligne le juriste.
En effet, selon lui, "la confiance et la bonne foi entre les deux parties sont les conditions sine qua non du lancement de négociations sérieuses pour un règlement juste, définitif et durable du conflit, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité qui imposent l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui".
Enfin, l’interlocuteur de Sputnik affirme que "la clé de résolution du conflit au Sahara occidental reste entre les mains du Conseil de sécurité, notamment ses membres permanents, qui peut définir un mandat et une feuille de route clairs à M.de Mistura en lui donnant tous les moyens politiques et juridiques pour forcer les deux parties à revenir aux négociations. Mais si le Conseil de sécurité adopte la même démarche de gestion du conflit au lieu de le résoudre, l’action de de Mistura sera inéluctablement un échec total, à l’instar de ses prédécesseurs qui étaient également des personnalités de stature internationale". "À ce titre, il est vraiment très peu probable que le Front Polisario accepte de revenir aux négociations, alors que les ressources minières du Sahara occidental sont illégalement exploitées", conclut-il.