Emmanuelle Wargon s’est attiré les foudres de nombreux Français quand elle a estimé que la maison individuelle était un "non-sens écologique, économique et social". Devant le tollé, la ministre a tenté de corriger le tir dans un communiqué, regrettant "la caricature faite de ses propos".
Pourtant, l’intention du gouvernement est claire: il souhaiterait rompre radicalement avec le paradigme urbain des années 1970. "S’endetter jusqu’au cou pour faire construire un merveilleux pavillon à Poissy", comme l’a fait François Pignon, héros de L’Emmerdeur, ne devrait donc plus être le rêve des Français. "Le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène à une impasse", avait en effet asséné Emmanuelle Wargon.
"La formule de la ministre a été mal formulée et par conséquent, mal comprise", estime au micro de Sputnik un représentant de l’association France urbaine, qui regroupe des collectivités des métropoles, communautés d’agglomération et grandes villes. Néanmoins, selon notre interlocuteur, qui a souhaité conserver l’anonymat,
"l’enjeu n’est pas être pour ou contre la maison individuelle, mais de penser l’habitat, l’urbanisme, l’aménagement du territoire autrement qu’il y a 50 ans. On essaye de répondre à une question assez difficile: comment fait-on pour articuler à la fois la lutte contre l’artificialisation des sols et construire plus de logements et de meilleure qualité?"
Le collectif "partage un constat avec le gouvernement: aujourd’hui, il faut inventer un nouveau modèle du développement urbain".
Urbanisme et Gilets jaunes
La polémique n’est pas nouvelle. La planification urbaine et le logement sont au cœur de toutes les transformations écologiques et énergétiques, "tout en étant un puissant vecteur d’aménagement du territoire", précise la voix de l’association France urbaine. Les métropoles se focalisent sur la recherche d’un équilibre entre les centres historiques et les banlieues.
"La ville et la fabrique de la ville doivent s’inscrire dans une optique de résilience des territoires urbains et du bâti, plus lié à la construction des logements, mais également des infrastructures pour lutter contre le dérèglement climatique", insiste-t-on chez France urbaine.
Et les élus des grandes métropoles ont ressenti la "crise des Gilets jaunes comme un mouvement anti-élites métropolitaines". Leur effort est dirigé vers "la construction plus sobre en termes de terrain et qui prenne aussi en compte des nouvelles attentes de la société". La crise sanitaire du Covid-19 et des confinements imposés ont accéléré des "évolutions déjà en germe ces dernières années": le confort des pièces à vivre, de la verdure d’extérieur, des espaces publics mieux aménagés et plus végétalisés.
"Comment éviter que les villes s’étalent tout en construisant plus de logements de meilleure qualité dans un espace plus réduit? C’est un constat que l’on fait: il est de plus en plus difficile de construire des logements, notamment des logements sociaux, malgré des besoins et des demandes de plus en plus nombreux", s’inquiète notre interlocuteur.
Certaines grandes villes ou métropoles en France mettent en place des initiatives pour aider des "familles fragilisées par la crise sanitaire". Ils développent des Offices fonciers solidaires (OFS) pour apporter une "réponse aux besoins de logement à des prix abordables qui permettent de distinguer le bâti et le foncier". Ainsi, les classes populaires et moyennes peuvent-elles accéder à la propriété, "en étant propriétaires de leur espace, sans être propriétaire des murs et du bâtiment". Une solution pour faire baisser le prix d’achat.
"On ne veut pas de ville où les classes moyennes et populaires soient mises en périphérie, dans les banlieues de plus en plus éloignées du centre. Sinon, on risque de continuer à créer de l’étalement urbain, on ne resoudra pas les problèmes qui ont mené au phénomène des Gilets jaunes", considère-t-on au sein de l’association.
Notre interlocuteur a cité plusieurs exemples "de quartiers écologiques" en cours de réalisation à travers la France, comme l’écoquartier Flaubert à Rouen ou l’écocité des maraîchers à Dijon. Des initiatives de grandes villes en matière de renouvellement urbain et de logement "pour les rendre plus vivables, viables et vivantes".
Paris, une ville à part
La capitale française se distingue de ce tableau général à cause de son statut particulier, à la fois ville et département. Une capitale n’a pas les mêmes moyens, ni la même population, ni les mêmes préoccupations. Et surtout, à Paris, "un élu récupère un historique sur ces sujets". Riche de siècles d’histoire, la ville construite au gré des volontés monarchiques et républicaines a néanmoins lancé une grande consultation sur le Plan Local d’Urbanisme.
"70% des gaz à effet de serre proviennent des villes, mais il faut les voir aussi comme les territoires de solutions et d’innovations. Puisque c’est bien dans ces territoires que se trouvent des entreprises, des associations, des élus et des citoyens qui vont s’engager pour que ces nouveaux défis soient une chance pour demain. C’est bien dans ces territoires que l’on aura les moyens de construire", souligne France Urbaine.
"À Paris, comme dans les grandes villes, on n’a pas attendu la crise sanitaire pour végétaliser et débétonniser", plaide-t-on chez France Urbanisme. Une analyse que de nombreuses associations parisiennes ne partagent pas, lesquelles n’hésitent pas à descendre dans la rue pour exiger une capitale plus agréable à vivre.
"Si la crise sanitaire permet d’accélérer ces processus parce que l’ensemble des acteurs souhaite cette transformation, tant mieux", assure notre interlocuteur. La végétalisation et l’abandon de la bétonisation restent toujours le cheval de bataille des politiques de tous bords… du moins en théorie.