"Elle a toujours des hauts et des bas mais les hauts ne sont pas très hauts, et les bas…"
Devant la Cour d’appel de Versailles, la mère de Julie* rapporte au micro de Sputnik les difficultés que traverse sa fille pour se reconstruire. Signe de son mal-être, "sa psychiatre lui a augmenté ses antidépresseurs", raconte Corinne. Il faut dire que la bataille juridique menée par la famille dure depuis près de dix ans.
Aujourd’hui âgée de 26 ans, la jeune femme accuse vingt membres de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris de viols subis entre 13 et 15 ans. Alors qu’elle souffrait de nombreux problèmes de santé, suivait un lourd traitement médicamenteux et devait appeler régulièrement les secours. Les pompiers ont reconnu avoir eu des relations sexuelles avec la jeune femme, tout en niant l’avoir contrainte. Lors d’un après-midi fin 2009 chez le pompier avec qui elle entretenait une relation, Julie* dit pourtant avoir été obligé de pratiquer des fellations à deux d’entre eux, pendant que le troisième la touchait.
La famille se bat depuis pour que le chef de viol soit reconnu par la justice. À la suite d’un dépôt de plainte en 2010, trois pompiers avaient été mis en examen pour "viol". Cependant en 2019, un juge a requalifié ces faits en "atteintes sexuelles, sans violence, contrainte, menace ni surprise sur mineure de quinze ans par plusieurs personnes".
Requalification des faits
Une requalification qui revêt un caractère crucial puisque cela change les peines encourues. Le délit "d’atteinte sexuelle" commis sur une victime mineure de moins de 15 ans est puni de 7 ans de prison et de 100.000 euros d’amende. Alors que le viol est défini par le Code pénal (article 222-23) comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Pour cette infraction, les peines encourues sont de 15 ans de prison et 20 ans d’emprisonnement en cas de circonstances aggravantes.
C’est donc cette requalification qu’a contestée la famille de Julie* jusqu’à la Cour de cassation, qui les a déboutées en mars dernier. Néanmoins, la plus haute juridiction de la justice a cassé deux éléments, qui sont étudiés ce mardi 19 octobre par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, comme l’explique l’avocate de la jeune femme, Me Marjolaine Vignola.
Selon la Cour de cassation, "la cour d’appel n’a pas pris en compte tous les faits de viol commis par un des pompiers qui admet connaître l’âge de Julie* et avoir eu des rapports sexuels avec elle", détaille Me Vignola.
"Le deuxième point, c’est que la Cour d’appel a mal appliqué la loi sur la corruption de mineur et n’a pas contemplé les faits de corruption de mineurs qui sont établis dans le dossier."
La corruption de mineurs correspond au fait de s’engager dans des conversations sexuelles, de montrer des images pornographiques ou sexuelles à un mineur dans le but de le pervertir, de corrompre sa sexualité, précise Me Vignola. Les magistrats devront notamment déterminer si, outre les trois pompiers déjà renvoyés devant le tribunal correctionnel, d’autres pourraient être poursuivis pour "corruption de mineur".
"Un certain nombre de pompiers [avaient] reconnu avoir fait des propositions de nature sexuelle à Julie* sur les réseaux sociaux", a affirmé Corinne sur BFM TV.
À l’issue de l’audience, la cour d’appel a mis la décision en délibéré au 1erfévrier 2022.
En outre, la mère de Julie* et ses avocates, Me Vignola et Me Lorraine Questiaux, ont indiqué à l’AFP avoir déposé le 14 octobre dernier une plainte avec constitution de partie civile pour "viol" et "corruption de mineur" contre les 17 pompiers qui n’ont pas été mis en examen. Par ailleurs, un recours a également été déposé par la plaignante notamment pour contester la "durée" et la "violence" de la procédure d’instruction. Mais également "l’application de la loi sur le viol", ajoute Me Vignola.
"Cette loi est complètement inique dans son application et son interprétation par les juges puisque l’on voit bien qu’ils sont incapables de l’appliquer correctement au cas de Julie* mais aussi à d’autres cas", assure l’avocate.
* Pseudonyme utilisé par la mère de la jeune femme pour préserver son anonymat.