Les prix des carburants battent tous les records. À 1,53 euro le litre de gazole, c’est plus qu’au début de la crise des Gilets jaunes. Interrogée le 12 octobre à l’Assemblée nationale, Barbara Pompili a sonné la charge contre les distributeurs, leur demandant "de faire un geste en réduisant leur marge". Pourtant, cette marge, de la grande distribution aux réseaux de stations des pétroliers en passant par les indépendants, n’excède pas les deux centimes d’euro. Bien loin derrière les 88 centimes(16,4% de TVA et 40,7% de TICPE) que l’État empoche à chaque litre de gazole pompé par un automobiliste dans une station-service.
Mais cette réalité semble n’avoir qu’une importance très relative pour la ministre. "Au-delà de ces mesures de court terme, c’est bien un changement de modèle" qu’elle entend opérer. Et de faire l’éloge de sa politique d’électrification du parc automobile, rappelant les dispositions destinées aux Français les plus modestes (chèque énergie et bouclier tarifaire). "L’idée, c’est de passer d’un plein qui peut approcher 100 euros a une recharge électrique à 10-15 euros", affirme Barbara Pompili.
Des déclarations qui ne manquent pas d’interpeller, Barbara Pompili éludant en effet son incapacité à prévenir la hausse des prix sur le marché de l’électricité. Libéralisé au nom de l’Europe, ce marché est aujourd’hui d’autant plus malmené que la transition énergétique voulue au nom de la sortie du nucléaire est en marche.
Surenchère des prix de l’électricité: la vague est devant les Français
Effectif depuis 1997, le marché intérieur de l’électricité a été libéralisé sous l’impulsion de Bruxelles (Directive 96/92/CE). Sont ainsi apparues en Europe des bourses de l’électricité couvrant différents marchés nationaux, notamment EPEX Spot et Nord Pool Spot où s’approvisionnent les fournisseurs européens de l’Hexagone, concurrents directs d’EDF.
Les traités européens exigeant une concurrence, des "fournisseurs alternatifs" ont intégré le marché français de l’électricité mais si l’énergie qu’ils revendent aux Français est plus chère que celle d’EDF, ils disparaîtront, mettant de facto la France en porte-à-faux vis-à-vis de la Commission. Alors pour faire subsister cette concurrence, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) rehausse les tarifs appliqués par la compagnie publique pour qu’ils soient toujours plus chers que ceux de ses homologues privés.
C’est ainsi que, malgré un coût de production relativement bas et qui, en France, évolue très peu grâce au parc de centrales nucléaires et de barrages hydroélectriques d’EDF, la facture des Français gonfle d’année en année. La faute à ce maintien artificiel de la concurrence exigé par Bruxelles.
Par ailleurs, en Europe, deux tiers de l’électricité est produite à partir d’énergies fossiles (telles que le gaz et le charbon) et les concurrents privés d’EDF se fournissent en partie sur les marchés européens. Des marchés qui sont par conséquent soumis aux cours des matières fossiles et s’avèrent responsables, dans le cas de la France, de l’alourdissement des factures d’électricité des ménages et des entreprises. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la demande d’électricité est vouée à augmenter, notamment du fait des besoins croissants des véhicules (+60% d’ici à 2040). Or, produire plus d’électricité afin de se soustraire à la dépendance aux énergies fossiles –comme le souhaiterait Barbara Pompili– va donc nécessiter… plus encore d’énergies fossiles.
Comme si cela ne suffisait pas, la Commission européenne impose d’ici à juillet 2023 la mise en place d’une tarification horaire (ou "tarification dynamique") pour les opérateurs de plus de 200.000 abonnés. Du côté du consommateur, cela signifie que le prix du mégawattheure sera fixé en temps réel, fluctuant selon la demande du moment et non plus à l’année. Cette facturation sera rendue possible par le nouveau compteur "communiquant" Linky.
Les Européens pris à leur propre jeu
Concrètement, il sera beaucoup plus cher de s’éclairer, de faire chauffer ses plaques de cuisson ou simplement de lire ses mails à 19h lorsque tout le monde rentre du bureau, qu’à 3h du matin lorsque tout le monde dort… Ce type de tarification, volatile, dérégulée, est ce qui a conduit certains Texans à voir leur facture d’électricité multipliée par 70 durant la vague de froid de l’hiver dernier.
Mais exiger des Français qu’ils se tournent toujours davantage vers la fée électricité au moment où ses tarifs sont appelés à augmenter n’est pas le seul paradoxe du discours politique ambiant. En effet, la démarche de ces dernières années, notamment menée sous la houlette de Barbara Pompili, a eu pour conséquence de réduire l’offre électrique. En 2020, année marquée par la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et l’essor de l’éolien, la production d’électricité dans l’Hexagone baissait de 7% (également à cause du retard pris dans les opérations de maintenance des centrales durant les confinements) pour atteindre son plus bas niveau depuis 20 ans.
Cet arrêt prématuré des deux réacteurs de Fessenheim (la centrale alsacienne avait encore 20 ans d’activité devant elle) qui produisaient 3% de l’électricité (la moins chère de France, le site étant pleinement amorti) est le premier jalon d’une politique qui coûtera donc, à terme, encore plus cher aux Français. 14 autres réacteurs doivent fermer d’ici à 2035 afin de tenir l’objectif de réduire à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique tricolore… au nom de la préservation du climat. C’était la promesse de François Hollande en 2012 pour sceller son pacte électoral avec EELV. Un engagement que Barbara Pompili, ex-EELV qui fit son entrée à l’Assemblée grâce à ce deal, entend poursuivre.
Dérégulation, tout-électrique et antinucléaire: combo fatal
Une production qui baisse, c’est là encore une tension supplémentaire sur le marché de gros de l’électricité. Phénomène aggravé par le choix des énergies renouvelables (EnR) –à l’instar des éoliennes– comme alternative au nucléaire. En effet, les aéromoteurs ne produisent de l’électricité que 23% du temps (moyenne de RTE pour l’éolien terrestre en 2019). Pour parer aux trous de production et assurer un approvisionnement électrique continu des foyers (éviter les black-out), il faut donc recourir à des centrales… au gaz, voire au charbon comme en Allemagne, qui a pris la décision d’abandonner totalement le nucléaire.
Ce surplus de demande en énergies fossiles, pour produire une électricité autrefois produite sans elles, contribue donc mécaniquement à augmenter leurs cours. Et ce phénomène devrait s’accentuer plus encore, avec, à partir de 2022, la sortie du nucléaire de la Belgique où l’atome fournit pourtant 50% de l’électricité consommée… Autant d’énergie que ses voisins devront produire pour elle. Cerise sur le gâteau, ce discours antinucléaire trouve un écho européen et pourrait se traduire par une exclusion pure et simple de l’énergie nucléaire du "green-deal européen". Les entreprises pourraient ainsi être incitées à se détourner d’elles-mêmes de fournisseurs recourant à des moyens de production nucléaire au profit des énergies renouvelables. Là encore, cela se traduirait par plus encore de dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, d’autant plus que le gaz a reçu l’aval de la Commission.
"Il y a beaucoup d’énergies renouvelables aujourd’hui, en Europe en particulier, et il se trouve qu’au cours des six dernières semaines, il n’y a pas eu de vent en Europe!", développait fin septembre Thierry Breton sur le plateau du Grand Jury. Le commissaire européen au Marché intérieur énumérait alors les raisons de la flambée des prix de l’énergie. "La Grande-Bretagne, c’est une catastrophe en ce moment parce qu’ils dépendent beaucoup des éoliennes", insiste-t-il.
Bref, les écologistes sont donc aujourd’hui rattrapés par la réalité et ce sont les Français qui vont payer les pots cassés. Car au-delà de la dépendance accentuée aux énergies fossiles, le développement des EnR a un coût particulièrement élevé pour la collectivité.
Fiscalité: le développement des EnR fait flamber la facture
Sur leur facture d’électricité, les Français paient les subventions aux énergies "vertes" via notamment la CSPE qui a explosé de 650% en vingt ans. S’ajoutent à cela les investissements dans le réseau, mis à mal par la démultiplication des éoliennes (déjà au nombre de 8.000 en France, que Barbara Pompili entend pousser à 20.000 d’ici à quatre ans). Fin 2020, RTE et Enedis annonçaient 100 milliards d’investissement sur 15 ans pour adapter le réseau électrique français. Là encore, ce coût sera répercuté directement sur la facture des ménages. Le cours du mégawattheure (MWh) promet donc de continuer à grimper pour les Français et l’argument avancé par la ministre de générer des économies grâce au passage au tout-électrique semble désormais moins convaincant.
À six mois de la présidentielle, Emmanuel Macron semble avoir pris conscience du danger. Le 12 octobre, celui-ci annonçait un investissement d’un milliard d’euros dans le développement de petits réacteurs modulaires (SMR). Déjà, à son arrivée au pouvoir, le chef de l’État avait pris ses distances avec la fermeture des 17 réacteurs nucléaires actée sous François Hollande. Mais interviewée le lendemain sur RTL, Barbara Pompili persistait: face aux défis énergétiques auxquels les Français vont devoir faire face, "il faut faire des renouvelables, des renouvelables et beaucoup d’énergies renouvelables!". Évitant le plus possible le mot "nucléaire", la ministre a renvoyé à la nécessité de faire plancher le Réseau de transport d’électricité (RTE) sur la question. Il faut dire que le gestionnaire de réseau électrique est présidé, avec l’aval de cette dernière, par Xavier Piechaczyk. Cet ancien conseiller énergie de François Hollande, coauteur du projet de loi sur la tarification progressive de l’énergie, est un fervent défenseur des énergies renouvelables. En janvier, celui-ci remettait à la ministre un rapport affirmant qu’une France fonctionnant à 100% aux énergies renouvelables était techniquement possible. Un moment "copernicien", avait salué sa ministre de tutelle.