Le négociateur de l’UE est à Téhéran: le "bâton américain et la carotte européenne"

Tandis que la pression monte entre Washington et Téhéran, le négociateur de l’UE sur le dossier du nucléaire iranien est dans la capitale iranienne. Une stratégie transatlantique du bâton et de la carotte qui vise à faire plier l’Iran.
Sputnik
"Nous ne considérons pas" la visite du négociateur de l’Union européenne sur le nucléaire iranien, Enrique Mora, ce 14 octobre "comme “business as usual”, mais plutôt comme une visite décisive dans la crise": la note publiée le 13 octobre par les diplomates de Grande-Bretagne, d’Allemagne et de France, connus sous le nom d’"E3", dit assez les espoirs que les Européens mettent dans cette démarche.
"Ils [les Européens, nldr] doivent donner la pleine assurance à la République islamique que, cette fois, aucune partie ne violera l’accord sur le nucléaire", a pour sa part insisté le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saïd Khatibzadeh. "Les consultations et les contacts entre les deux parties n’ont jamais été interrompus et se poursuivent en permanence sur diverses questions et cette visite se déroulera dans le même cadre", a-t-il ajouté.
Le négociateur européen attendu jeudi à Téhéran
"La situation dans le domaine nucléaire n’a cessé de se dégrader et de s’aggraver depuis" l’élection d’Ebrahim Raïssi en juin et la fin des négociations, insistent pourtant les Européens. Une allusion à l’accélération de l’enrichissement de l’uranium par l’Iran, en vue d’une possible obtention de la bombe nucléaire.
"C’est la première fois que les Européens haussent le ton", remarque pour Sputnik Gérard Vespierre, associé fondateur de "Strategic Conseils", chercheur associé à la Fondation d’Étude pour le Moyen-Orient (FEMO).
Il admet qu’"il n’y a pas de fumée sans feu". Toutefois, les commentaires des diplomates européens, aussi grandiloquents soient-ils, sont à remettre "dans le contexte des négociations": ils visent à ramener les États-Unis et l’Iran à la table des négociations. Il y a urgence, mais ces propos de l’UE feraient partie de la stratégie de négociation européenne. Le géopolitologue ne voit non plus de rupture du dialogue dans l’immédiat, contrairement à ce que pourraient laisser penser les commentaires des diplomates de l’E3.

L’Europe, "bon flic" aux côtés du "mauvais flic" américain?

Depuis quatre mois, les parties iranienne et américaine n’arrivent pas à s’entendre. Les premiers accusent Washington de ne pas lever les sanctions contre Téhéran. Les seconds accusent l’Iran de ne pas se plier à leurs exigences, à savoir une limitation drastique de l’enrichissement de son nucléaire, de son influence grandissante dans la région et une restriction de son programme balistique.
Entre ces deux pôles rigides, les Européens présentent publiquement une posture plus neutre. Ce sont d’ailleurs eux qui, au printemps, assuraient la médiation entre Washington et Téhéran, avec dans une moindre mesure la Russie et la Chine. Un positionnement auquel semblait croire la précédente Administration iranienne. Cette dernière avait elle-même proposé à plusieurs reprises aux diplomates européens de servir d’intermédiaires entre deux parties qui n’arrivent pas à se parler. Une idée fausse, poursuit le directeur de recherche à la FEMO:
"Depuis 2018, il y a une répartition des rôles entre le bâton américain et la carotte européenne qui vise à rétablir des liens avec l’Iran, tout en essayant d’aboutir à l’objectif global sur lequel les deux parties occidentales sont d’accord, c’est-à-dire “pas d’Iran nucléaire”", résume Gérard Vespierre.
Ainsi, la visite d’Enrique Mora à Téhéran ce 14 octobre pourrait se lire à l’aune de cette stratégie de négociation: Washington et Bruxelles, et par association le E3, se relaient pour souffler le chaud et le froid. Alors que le secrétaire d’État américain Blinken a menacé de "se tourner vers d’autres options" (certains y voient des menaces d’attaques ciblées contre l’Iran) si les négociations avec Téhéran échouaient, l’UE jouerait la carotte, bien que cette fois plus pressante.

"Israël se réserve le droit d’agir à tout moment et de n’importe quelle manière"

Un schéma dont l’application se vérifie dans la réalité, constate Gérard Vespierre: alors que le ministre israélien des Affaires étrangères était en visite aux États-Unis le 13 octobre pour rencontrer son homologue américain, le négociateur européen sur le dossier iranien est à Téhéran le lendemain pour "relancer l’accord."
"Si un régime terroriste veut se doter de l’arme nucléaire, nous devons agir, nous devons faire comprendre que le monde civilisé ne le permettra pas. Si les Iraniens ne voient pas que le monde est prêt à les arrêter, ils se précipiteront sur la bombe. Israël se réserve le droit d’agir à tout moment et de n’importe quelle manière. Ce n’est pas seulement notre droit, c’est aussi notre responsabilité", a déclaré le chef de la diplomatie israélienne, Yaïr Lapid, depuis Washington.
Des propos particulièrement hostiles à l’égard du pays des Mollahs, prononcés sans être tempérés depuis le sol américain. La situation, pour tendue qu’elle soit, ne devrait toutefois pas déboucher sur un conflit armé, estime le directeur de recherche à la FEMO. Pour lui, "il faut simplement garder en tête cette dichotomie de moyens entre les Européens et les Américains et cette unicité d’objectif."
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