Côte d’Ivoire: la menace terroriste a-t-elle gagné l'ouest du pays?

Un gendarme et un agent local ont été tués le 13 octobre dans l'ouest de la Côte d’Ivoire lors d'une attaque armée. S’il est encore tôt pour en déterminer la nature, l'assaut intervient dans un contexte sécuritaire marqué par la recrudescence des attaques terroristes, qui se concentrent plutôt, jusque-là, dans le nord du pays.
Sputnik
Assiste-t-on à une ouverture d'une nouvelle ligne du front terroriste en Côte d’Ivoire? C’est une question qui mérite, à juste titre, d’être posée. En effet, le 13 octobre, au petit matin, deux hommes armés, à moto, ont ouvert le feu sur le poste de contrôle mixte de Tiémesson, un village de la région du Guémon, dans l’ouest du pays. Un gendarme et un agent des Eaux et Forêts ont été tués. Les assaillants se sont, quant à eux, évaporés dans la nature.

"Quand bien même le mode opératoire évoquerait une attaque terroriste, il convient de s’avancer avec prudence car il faut noter que ce sont les autorités qui déterminent, après enquête, la nature terroriste ou non d’une attaque", prévient Sylvain N’Guessan, directeur de l’Institut de stratégie d’Abidjan, interrogé par Sputnik.

Au-delà du mode opératoire, la piste terroriste paraît plausible vu que la région du Guémon est voisine de celle du Bafing où, en septembre dernier, un préfet avait alerté sur la présence d’individus armés suspects qui tentaient de s’implanter dans une forêt. Ces derniers avaient également braqué plusieurs cars de transport et même ouvert le feu sur les passagers, faisant plusieurs blessés.
"Au-delà des braquages, en recoupant les témoignages, trois arguments nous permettent de conclure que ces individus visent d'autres objectifs sécuritaires: ils sont habillés en rangers et détiennent de nouvelles kalachnikov, leur nombre est variable -certains témoins évoquant 14, d'autres plus de 30- et les témoins ont le sentiment qu'ils cherchent à installer une base dans la forêt", détaille le préfet dans un télégramme adressé au ministre de l'Intérieur qui a été ébruité par la presse locale.
Terrorisme : le Nord ivoirien sous une nouvelle menace terroriste (préfet)
Toutefois, au vu du contexte sécuritaire qui prévaut en Côte d’Ivoire, mais aussi en raison de l’importance économique de la région du Guémon liée à la culture du cacao, Sylvain N’Guessan estime qu’"il y a peu de chance que les autorités évoquent la piste terroriste pour l’attaque de Tiémesson, car cela donnerait l’impression qu’elles ne maîtrisent plus la situation". "La menace terroriste est jusque-là censée être circonscrite à quelques bourgades du nord" frontalières avec le Burkina Faso, explique-t-il.
Selon cet expert des questions de sécurité et défense, l’attaque de Tiémesson peut tout aussi bien relever du grand banditismepour le moins très actif dans la région du Guémon, zone forestière, qui fait partie des meilleurs producteurs de cacao. Et justement, la campagne 2021-2022 de cacao a été officiellement lancée le 1er octobre en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cette culture de rente avec deux millions de tonnes en 2020 (40% de part du marché).

Sécuriser les frontières

Les pays côtiers du golfe de Guinée figurent depuis plusieurs années sur la feuille de routedes groupes djihadistes. Et la Côte d’Ivoire constitue pour eux une cible de choix.
Le 13 mars 2016, une attaque menée par des hommes armés avait fait 19 morts, de nationalités ivoirienne, française, libanaise, nigériane, allemande et macédonienne, à Grand-Bassam, une ville balnéaire prisée située à 40 km au sud-est d'Abidjan. Cet attentat, le premier du genre sur le sol ivoirien, avait été revendiqué le jour même par Al-Qaïda au Maghreb islamique*.
Les autorités ivoiriennes prennent la menace terroriste très au sérieux, d’autant plus que de juin 2020 à octobre 2021, pas moins de six nouvelles attaques –non revendiquées– ont été enregistrées, pour l’essentiel dans le nord, à la frontière avec le Burkina Faso. Elles ont coûté la vie à une vingtaine d’agents des forces de défense et de sécurité.
Les effectifs militaires ont été renforcés dans cette partie du pays où des groupes djihadistes tentent insidieusement de s’implanter depuis le Burkina Faso. Et dans le cadre d’un projet de sécurisation des frontières, financé par le Japon, des postes de police modernes ont vu le jour, notamment à Koguiénou, à la frontière avec le Burkina Faso, et à Tiéfinzo, à la frontière avec le Mali.
Par ailleurs, l’État ivoirien aurait, selon la revue Africa Intelligence dans son édition du 11 octobre, commandé plusieurs aérostats à la société française A-NSE pour mieux contrôler sa frontière avec le Burkina Faso, longue de près de 600 kilomètres.
La menace terroriste en Côte d’Ivoire est généralement volontiers perçue comme extérieure. Interrogé à ce sujet, Sylvain N’Guessan déclare:

"Que le gouvernement l’admette ou non, je reste persuadé qu’il existe des cellules dormantes sur le territoire ivoirien, notamment dans le sud-ouest. Cela dit, est-ce que des jeunes Ivoiriens radicalisés y sont pleinement actifs? J’en doute".

* Organisation terroriste interdite en Russie
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